Page:Aimard - Le forestier.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
Le Forestier

au lieu de monter dans sa chambre pour faire la sieste, ainsi qu’il en avait l’habitude après son repas de midi, il remit ses guêtres qu’il avait ôtées, prit son fusil et siffla son chien.

— Vous sortez, don Luis ? lui demanda sa femme.

Il n’avait jamais pu l’habituer à lui donner un autre nom.

— Oui, répondit-il, j’ai relevé tes passées d’un sanglier ; je ne serais pas fâché d’aller voir un peu si je retrouverai l’endroit où il s’est remisé ; c’est un solitaire, chassé probablement par nos voisins de la montagne ; il s’est réfugié près d’ici.

— Vous feriez mieux de rester ; voyez, le ciel se couvre, il y aura certainement de l’orage ; vous savez combien les orages sont terribles dans la montagne.

— Oh ! il n’éclatera pas avant ce soir ; dans deux ou trois heures au plus tard je serai de retour.

Tatita, demanda doña Cristiana, le Père Sanchez vous a-t-il dit que monseigneur le roi est à Tolède depuis quatre jours ?

— Oui, mignonne ; mais que nous importe cela ?

— Pas beaucoup, en effet ; mais Juanito dit avoir entendu ce matin le cor dans la montagne.

— Il ne s’est pas trompé, mignonne, je l’ai entendu, moi aussi.

— Ah ! fit doña Dolores, peut-être est-ce la cour qui chasse. Dieu veuille que le hasard ne conduise pas de ce côté un chasseur égaré !

— Que nous ferait cela, mon cher amour ? Ne sommes-nous pas chez nous, ici ?

— Oui, mais.

— Bannissez ces craintes puériles, señora, nous sommes plus en sûreté ici que dans l’Alcazar de Séville du reste, je ne crois pas que la cour chasse aujourd’hui ; le cor que nous avons entendu est probablement celui de nos voisins ; ce sont, vous le savez, de déterminés chasseurs ; tout gibier leur est bon, ajouta-t-il en riant. Au revoir !

— Ne vous attardez pas, je vous en supplie, don Luis ! je ne sais pourquoi, mais je vous vois partir avec peine ; tout le temps que durera votre absence, je serai mortellement inquiète.

— Je vous promets, à moins de circonstances impossibles à prévoir, de rentrer avant le coucher du soleil, et cela d’autant plus que, ainsi que vous l’avez dit, le temps se met définitivement à l’orage.

Là-dessus, il embrassa sa femme et ses enfants, siffla son chien, sortit et s’éloigna à grands pas dans la direction de la montagne.