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Le Forestier

matériaux nécessaires au bout de cinq mois, la maison était construite, les peones indiens généreusement payés et renvoyés. Pendant tout le cours des travaux, don Gutierrez et moi nous tes avions si attentivement surveillés qu’ils n’avaient communiqué avec personne d’ailleurs, ils n’avaient pas conscience eux-mêmes de l’œuvre qu’ils accomplissaient.

— C’est probable, dit le jeune homme, mais le gouvernement ? Il ne s’émut pas de cette construction d’une seule maison qui durait pendant si longtemps dans un pays ou il faut moins d’un mois pour édifier un palais ?

— Vous connaissez l’incurie, la nonchalance et surtout l’avarice des membres du gouvernement colonial ; don Gutierrez avait des amis un peu partout, il parvint à fermer tous les yeux et toutes les oreilles ; d’ailleurs, il se conduisait avec la plus extrême prudence ; l’emplacement de la maison avait judicieusement été choisi dans un quartier perdu, habité seulement par les Indiens ; on ne vit rien ou on ne voulut rien voir, ce qui pour le capitaine revenait au même. Quelques années s’écoutèrent, le capitaine vieillissait, il était tourmenté du désir de retourner en Europe enfin, n’y pouvant résister, il fréta un navire sur lequel il embarqua toutes ses richesses, m’embrassa sur le quai même où je l’avais accompagné, descendit dans un canot qui l’attendait et partit ; en montant à bord du navire qui déjà était sous voiles, le pied lui manqua, il tomba à la mer et, malgré tous tes efforts que l’on tenta pour le sauver, il se noya.

— C’était l’architecte qui l’avait tiré par tes jambes, dit Michel avec un rire railleur.

— Et la maison, que devint-elle ?

— Don Gutierrez était seul ; on ne lui connaissait pas de parents ; le gouvernement s’empara de sa fortune.

— Bonne proie pour les gavachos.

— Et vous, que fîtes-vous, José ? f

— Rien ne me retenait plus Panama, señor ; j’avais vingt-deux ans, je retournai au désert. Quinze ans s’écoutèrent pendant lesquels je ne me rapprochai plus des villes des blancs.

— Depuis votre retour, vous n’avez rien entendu dire sur cette maison ?

— Pas grand’chose, señor, cela ne m’intéressait guère je sus par hasard qu’elle avait été vendue plusieurs fois, et finalement achetée, il y a un an environ, par don Jesus Ordoñez. Voilà tout.

— Vous ne soupçonnez pas le motif qui a pu engager don Jesus à faire cette acquisition ?

— Je mentirais, señor, si je vous disais le contraire.