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Le Forestier

— Qu’est-ce qui te prend ? lui demanda Laurent en riant.

— Ce qui me prend, cordieu ! reprit-il en roulant tes yeux avec colère, il me prend que j’ai été traité comme un oison, et que si tes drôles qui m’ont joué ce mauvais tour me tombent jamais sous la patte, ajouta-t-il en allongeant d’un air de menace une main large comme une épaule de mouton, ils verront à leurs dépens de quel bois je me chauffe.

— Bah de quoi te plains-tu ? dit légèrement le jeune homme.

— Comment ! de quoi je me plains ? s’écria le boucanier hors de lui, ah ! pardieu ! je trouve l’observation précieuse ! comment, vous ne comprenez pas ? J’attends que tu t’expliques froidement, si cela t’est possible. J’essaierai, je n’en réponds pas.

— Va toujours.

— Pour moi l’affaire est claire ; cette soi-disant boisson était un somnifère ce traitre de don Jésus, comme il se nomme, voulait nous assassiner pendant notre sommeil ; heureusement j’avais verrouillé la porte.

— Tu n’y es pas du tout, compagnon, l’haciendero n’est pour rien dans tout cela.

— Pas possible !

— C’est exact, j’ajoute même qu’il serait plus épouvanté que personne s’il savait ce qui, cette nuit, s’est passé à son insu chez lui.

— Allons donc ! et le somnifère que j’ai bu ?

— À été préparé par un autre que par lui le digne homme ne sait pas le quart de ce qui se fait chez lui ; cette hacienda est double, triple peut-être, elle est construite comme tes vieux châteaux de Bohême et de Hongrie, remplie de trappes, de passages secrets, de cachettes et de souterrains qui se croisent et s’enchevêtrent dans tes murailles, sans que le propriétaire actuel s’en doute le moins du monde ; j’en ai eu la preuve par moi-même.

— Vous direz ce que vous voudrez, monsieur le comte, fit le boucanier en haussant tes épaules, il n’en est pas moins vrai que j’ai été endormi pour qu’il me fut impossible d’aller à votre aide.

— Ceci est vrai.

— Et que moi, votre compagnon dévoué, votre frère presque, je vous aurais laissé tuer à mes côtés sans vous défendre.

— Mais, puisque tu dormais toujours, il n’y avait pas de ta faute.

— Voilà justement ce que je ne pardonne pas à ceux qui m’ont joué ce tour indigne.

— Ils ne me voulaient aucun mal, et m’ont, au contraire, fort bien traité.