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Le Forestier

la vue se perd tristement dans un horizon sans bornes ; les vallons et les collines se succèdent ; on monte et on descend sans cesse, traversant avec ennui, parfois même avec effroi, ce paysage bouleversé qui remplit le cœur de tristesse ; on cherche vainement un chemin ou un sentier frayé, et après quelques heures, en se voyant ainsi perdu et isolé au milieu de ce désert affreux, l’homme le plus fort se sent tressaillir, il a peur, car il désespère d’arriver ; la longue marche qu’il a faite lui paraît inutile et lui semble ne devoir le conduire en aucun lieu habité.

Puis, sans transition, subitement, en atteignant le sommet d’une colline, un paysage tout nouveau se déroute devant les regards éblouis d’immenses massifs de verdure, des bouquets capricieusement groupés de ces splendides végétaux des tropiques, qui inclinent gracieusement leurs larges feuilles dentelées au souffle caressant de la brise ; des rivières formant des méandres infinis et fuyant sous les plantes aquatiques qui bordent leurs rives et souvent les enjambent en élevant au-dessus des eaux murmurantes des arcades de feuilles et de Meurs et çà et là, cachés sous une herbe courte et drue, des marécages trompeurs ou des lacs verdâtres et stagnants, asiles des caïmans et des iguanes qui se chauffent paresseusement au soleil.

Et, pendant prés de vingt lieues, c’est-à-dire de Chagrés à Panama, sur un périmètre de quarante à cinquante lieues de tour environ, les paysages se succèdent ainsi les uns aux autres, changeant incessamment d’aspect, mais toujours pittoresques et conservant ce cachet grandiose et sauvage qui est l’empreinte de Dieu sur les grandes œuvres de la nature.

Vers onze heures du matin, les voyageurs firent halte au milieu d’une étroite clairière traversée par un charmant cours d’eau. Ils voulaient laisser tomber la plus grande chaleur du jour, faire souder leurs chevaux et prendre que : que nourriture, dont ils avaient le plus pressant besoin.

Après que les animaux eurent reçu leur provende, les hommes songèrent alors à eux et préparèrent leur repas.

Ce fut José qui se chargea de ce soin dont, au reste, il s’acquitta avec une adresse et une célérité qui lui attirèrent les remerciements de ses compagnons, habitués de longue main à la vie d’aventure et juges compétents en pareille matière.

Après le repas qui fut bientôt expédié, comme toujours on alluma les pipes et on causa.

Michel le Basque entama l’entretien, en s’assénant sur la cuisse un coup de poing assommer un bœuf.