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Don Antonio était mort, lui aussi, peu de temps après le mariage de Maria avec don Tadeo de Léon, tué par l’inconduite de sa fille, dont les débordements avaient causé un effroyable scandale dans la haute société de Santiago.

Dona Maria n’avait plus, qu’à de longs intervalles, vu Antinahuel ; mais entre eux l’amitié était restée non seulement aussi vive qu’au temps de leur enfance, mais, de la part du guerrier Puelche, elle avait atteint un tel degré de fanatisme qu’il acceptait comme un ordre le moindre caprice de la jeune femme.

Aussi grand fut l’étonnement des guerriers de la tribu des Serpents-Noirs, lorsque le soir du jour où nous avons repris notre récit, ils virent arriver à leur tolderia et se diriger vers le rancho du toqui, dona Maria à cheval, et seulement accompagnée de deux péons.

En l’apercevant, le visage ordinairement sombre du jeune chef s’éclaira subitement d’un reflet de bonheur.

— L’Églantine des Bois ! s’écria-t-il avec joie, ma sœur se souvient-elle encore du pauvre Indien ?

— Je viens visiter le toldo de mon frère, dit-elle en lui tendant son front sur lequel il déposa un baiser ; mon cœur est triste, le chagrin me dévore, je me suis souvenue de mon frère.

Le chef lui lança un regard mêlé d’inquiétude et de chagrin.

— Bien que ce soit à la douleur que je doive de voir ma sœur, je n’en suis pas moins heureux, dit-il.

— Oui, reprit-elle, c’est lorsque l’on souffre que l’on se souvient de ses amis.

— Ma sœur a bien fait de songer à moi, que puis-je faire pour elle ?

— Mon frère peut me rendre un grand service.

— Ma vie est à ma sœur, elle sait quelle peut en disposer à son gré.

— Mais j’avais la certitude que je pouvais compter sur mon frère.

— Partout et toujours.

Et après s’être incliné respectueusement devant la jeune femme, il l’introduisit dans son rancho, où sa mère avait tout disposé pour recevoir dignement la visite de celle que pendant tant d’années elle avait aimée comme sa fille.



XIX

DEUX VIEUX AMIS FAITS POUR S’ENTENDRE


Antinahuel, — le Tigre Soleil, — était alors un homme de trente-cinq ans environ.

Sa stature était haute, sa démarche majestueuse, tout dans sa personne annonçait l’homme habitué au commandement et fait pour dominer ses semblables.