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— Admirablement répondu ; malheureusement, en ce moment, notre pain n’est que du biscuit gâté.

— J’y pourvoirai.

Le chef dit quelques mots en molucho à ses compagnons.

Chacun d’eux fouilla dans ses alforjas et en tira des tortillas de maïs, du charqui et plusieurs outres pleines de chicha, espèce de cidre fait avec des pommes et du maïs.

Le tout fut placé sur l’herbe devant les deux Français, émerveillés de cette abondance subite qui succédait sans transition aucune à leur détresse.

Les Indiens mirent pied à terre et s’assirent en cercle aux côtés des voyageurs.

Le chef se tourna vers ses convives :

— Que mes frères mangent, dit-il avec un doux sourire.

Les jeunes gens ne se firent pas répéter cette invitation gracieuse, ils attaquèrent vigoureusement les provisions qui leur étaient si galamment offertes.

Pendant les premières minutes, le plus profond silence régna parmi les convives ; mais dès que l’appétit fut un peu calmé, la conversation reprit de nouveau.

Les Indiens sont peut-être les hommes qui entendent le mieux les lois de l’hospitalité.

Ils ont un instinct des convenances sociales, s’il est permis d’employer cette expression, qui leur fait deviner du premier coup, avec une justesse infaillible, quelles sont les questions qu’ils peuvent adresser à leurs hôtes, et le point où ils doivent s’arrêter pour ne pas commettre d’indiscrétions.

Les deux Français qui, pour la première fois depuis leur arrivée en Amérique, se trouvaient en contact avec les Araucans, ne revenaient point de la surprise que leur causaient le savoir-vivre et les façons nobles et dégagées de ces hommes que, sur la foi de récits plus ou moins mensongers, ils s’étaient accoutumés, ainsi que tous les Européens, à regarder comme des sauvages grossiers, presque dénués d’intelligence et incapables d’un procédé délicat.

— Mes frères ne sont pas Espagnols ? dit le chef.

— C’est vrai, répondit Louis ; mais comment vous en êtes-vous aperçu ?

— Oh ! fit-il avec un sourire dédaigneux, nous connaissons bien ces chiaplos — méchants soldats, — ce sont de trop vieux ennemis pour que nous commettions une erreur à leur égard ; de quelle île sont mes frères ?

— Notre pays n’est pas une île, observa Valentin.

— Mon frère se trompe, dit emphatiquement le chef, il n’y a qu’un pays qui ne soit pas une île, c’est la grande terre des Aucas, — hommes libres.

Les jeunes gens courbèrent la tête ; devant une opinion aussi péremptoirement émise toute discussion devenait impossible.

— Nous sommes Français, répondit Louis.

— Français, bonne nation, brave, nous avons eu plusieurs guerriers français au temps de la guerre.

— Ah ! dit curieusement Louis, des guerriers français ont combattu avec vous ?

— Oui, répondit le chef avec orgueil, guerriers à barbe grise, dont la poi-