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— Hum ! dit Valentin à son compagnon, voilà un sauvage qui me paraît assez curieux, qu’en penses-tu ?

— Bah ! fit Louis, réponds-lui toujours, cela ne nous engage à rien.

— Au fait, c’est vrai, observa-t-il, nous ne risquons guère de nous compromettre plus que nous ne le sommes.

Et il se tourna vers le chef, qui attendait impassible.

— Nous voyageons, dit-il laconiquement.

— Seuls ? répondit le chef.

— Cela vous étonne ? mon ami.

— Mes frères ne craignent rien.

— Que pouvons-nous craindre ? dit le Parisien en goguenardant, nous n’avons rien à perdre.

— Et la chevelure ?

Louis se mit à rire, en regardant Valentin.

— Ah çà ! est-ce qu’il se moquerait de la nuance un peu hasardée de mes cheveux, ce vilain masque-là ? grommela Valentin, vexé de l’observation du chef et se méprenant sur ses intentions ; attends un peu !

Et il reprit à haute voix :

— Soyez assez bons pour passer votre chemin, messieurs les sauvages, ce que vous me dites ne me plaît nullement, savez-vous ?

Il arma son rifle, qu’il épaula en couchant le chef en joue.

Louis avait attentivement suivi les différentes péripéties de cette conversation, sans dire un mot, il imita le mouvement de son ami et dirigea le canon de son rifle sur le groupe des Indiens.

Le chef n’avait sans doute pas compris grand’chose au discours de son adversaire ; mais loin de paraître effrayé du geste menaçant qui le terminait, il considéra avec un air de plaisir la pose martiale et décidée des Français, puis abaissant doucement le canon de l’arme dirigée contre sa poitrine.

— Mon ami se trompe, dit-il d’un ton conciliateur, je n’ai nullement l’intention de l’insulter, je suis son penni, — frère, — et celui de son compagnon ; les visages pâles mangeaient quand je suis arrivé avec mes jeunes gens ?

— Ma foi oui, chef, vous dites vrai, interrompit gaiement Louis, votre apparition subite nous a empêchés de terminer le maigre repas que nous faisions.

— Et qui est bien à votre service, continua Valentin, en désignant avec la main les provisions éparses sur l’herbe.

— J’accepte, dit l’Indien avec bonhomie.

— Bravo ! fit Valentin, en jetant son rifle à terre et en se disposant à s’asseoir ; à table donc !

— Oui, reprit le chef, mais à une condition.

« C’est que j’apporterai ma part.

— Accordé, dit Louis.

— C’est trop juste, appuya Valentin, d’autant plus que nous ne sommes pas riches, et que nous n’avons qu’un maigre festin à vous offrir.

— Le pain d’un ami est toujours bon, dit sentencieusement le chef.