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— Ce sont des Araucans, dit Louis.

— Tu crois ? alors ils sont bien laids.

— Mais non ! je t’assure, je les trouve fort beaux, moi.

— Au fait, c’est possible au point de vue de l’art ; dans tous les cas, voyons-les venir.

Et s’appuyant sur son fusil, il attendit.

Les Indiens causaient entre eus, tout en continuant à regarder les jeunes gens.

— Ils se consultent pour savoir à quelle sauce ils nous mangeront, dit Valentin.

— Du tout

— Bah !

— Pardieu ! ils ne sont pas anthropophages.

— Ah ! tant pis, cela leur manque ! à Paris, tous les sauvages que l’on fait voir sur les places sont anthropophages.

— Fou ! tu riras donc sans cesse.

— Aimes-tu mieux que je pleure ? il me semble qu’en ce moment notre position n’est pas déjà si séduisante par elle-même, pour que nous cherchions encore à l’assombrir.

Ces Indiens étaient pour la plupart des hommes faits, âgés de quarante à quarante-cinq ans, revêtus du costume puelche, une des nations les plus belliqueuses de la Haute-Araucanie ; ils avaient le poncho bariolé flottant sur les épaules, les calzoneras serrées aux hanches et tombant à la cheville, la tête nue, les cheveux longs, plats et graisseux, retenus par un ruban rouge qui leur ceignait le front comme un diadème, et le visage peint de diverses couleurs.

Leurs armes se composaient d’une longue lance en roseau, d’un couteau passé dans leurs bottes en peau de taureau non tannée, d’un fusil pendu à la selle de leurs chevaux et d’un bouclier rond, recouvert en cuir, orné de crins de cheval et de touffes de cheveux humains.

Celui qui paraissait être le chef était un homme de haute stature, aux traits expressifs, durs et hautains, empreints d’une certaine franchise, rare chez les Indiens ; la seule chose qui le fît distinguer de ses compagnons, était une plume d’aigle des Andes, plantée droite sur le côté gauche de la tête, dans le ruban d’un rouge vif qui retenait ses cheveux.

Après s’être consulté quelques minutes avec ses compagnons, le chef s’avança vers les voyageurs en faisant caracoler son cheval avec une grâce inimitable, et en abaissant sa lance en signe de paix.

À trois pas de Valentin il s’arrêta, et lui dit en espagnol, après un salut cérémonieux à la manière indienne, en plaçant la main droite sur sa poitrine et inclinant lentement la tête à deux reprises différentes :

Marry-Marry, mes frères sont des Muruches, — étrangers, — et non des Culme-Huinca, — misérables Espagnols. Pourquoi se trouvent-ils si loin des hommes de leurs nation ?

Cette question faite, avec un accent guttural et ce ton emphatique particulier aux Indiens, fut parfaitement comprise des deux jeunes gens qui, ainsi que nous l’avons fait observer, parlaient couramment l’espagnol.