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Il avait reconnu son chef.

Le général Bustamente avait un poignard tout entier planté dans la poitrine ; au manche du poignard était attachée une longue banderole noire sur laquelle on lisait ces seuls mots écrits en encre rouge :

Justice des Cœurs sombres !

— Oh ! s’écria Diego, vengeance ! vengeance !

— Vengeance ! répétèrent les soldats avec une rage mêlée de terreur.

Le sergent se tourna vers don Pedro qu’il croyait à ses côtés, mais l’espion, qui seul pouvait les guider dans leurs recherches, avait jugé prudent de s’esquiver. Dès qu’il avait vu que ce qu’il redoutait était arrivé, il avait disparu sans que personne se fût aperçu de son départ.

— C’est égal, dit Diego, quand je devrais démolir ce repaire d’assassins de fond en comble et ne pas laisser pierre sur pierre, je jure que je retrouverai ces démons, fussent-ils cachés au centre de la terre.

Le vieux soldat commença à fureter de tous les côtés, tandis qu’un chirurgien qui avait suivi le détachement, donnait les premiers soins au blessé qu’il tâchait de rappeler à la vie.

Les Cœurs sombres, ainsi que l’avait fort bien dit l’espion, avaient des chemins connus d’eux seuls, par lesquels ils étaient partis tranquillement après avoir accompli leur terrible vengeance, ou exécuté leur sévère jugement, suivant le point de vue auquel on se placera pour apprécier un acte de cette nature et de cette importance.

Ils étaient déjà loin dans la campagne, à l’abri de tout danger, que les soldats s’acharnaient encore à les chercher dans la maison.

Don Tadeo et Don Gregorio rentrèrent ensemble à la chacra.

Ils furent étonnés à leur arrivée de voir Valentin, qu’ils supposaient couché et endormi depuis longtemps, s’approcher d’eux et à cette heure avancée de la nuit, leur demander quelques instants d’entretien.

Malgré la surprise toute naturelle que leur causa cette demande dont l’heure était si singulièrement choisie, les deux gentilshommes qui supposèrent que le Français avait des raisons graves pour agir de la sorte, lui accordèrent sa demande sans la moindre observation.

La conversation fut longue entre les trois personnages ; nous croyons inutile de la rapporter ici, nous n’en ferons connaître que la fin qui la résume parfaitement.

— Je n’insisterai pas, fit don Tadeo, bien que vous ne veuillez pas nous les dire, je vous crois un homme trop sérieux, don Valentin, pour ne pas avoir la conviction que les raisons qui vous obligent à nous quitter sont graves.

— De la plus haute gravité, appuya le jeune homme.

— Fort bien, et en partant d’ici, de quel côté comptez-vous vous diriger ?

— Ma foi, je vous avouerai franchement, ce que du reste vous savez déjà, que mon ami et moi nous sommes à la recherche de la fortune, que toutes les directions nous sont bonnes, puisque nous devons surtout compter sur le hasard.

— Je suis de votre avis, répondit don Tadeo en souriant ; écoutez-moi, je