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vers lui des regards ardents à travers les trous des masques noirs qui leur cachaient le visage.

Au fond de cette salle était placée une table recouverte d’un tapis vert.

Trois hommes étaient assis à cette table.

Non seulement ils étaient masqués, mais encore, pour surcroît de précaution, devant chacun d’eux, une torche plantée dans la table ne les laissait que vaguement entrevoir.

Sur le mur était attaché un crucifix, entre deux sabliers surmontés d’une tête de mort traversée d’un poignard.

Le général ne manifesta aucune émotion à cette mise en scène sinistre, seulement un sourire de dédain plissa ses lèvres hautaines, et il fit un pas pour entrer dans la salle.

En ce moment il sentit qu’on lui touchait légèrement l’épaule.

Il se retourna.

Un des guides lui tendait un masque ; malgré les précautions qu’il avait prises pour déguiser ses traits, il s’en saisit vivement avec un mouvement de joie, l’appliqua sur son visage, s’enveloppa dans son manteau et entra.

In nomine patris et filii et spiritus sancti, dit-il.

Amen ! répondirent les assistants d’une voix sépulcrale.

Exaudiat te Dominus, in die tribulationis, dit un des trois personnages placés derrière la table.

Impleat Dominus omnes petitiones tuas, reprit sans hésiter le général.

La Patria ! répondit le premier interlocuteur.

O la Muerte ! répliqua le général.

— Que viens-tu chercher ici ? demanda celui qui jusque-là avait seul parlé.

— Je cherche à entrer dans le sein des élus.

Il y eut un instant de silence.

— Quelqu’un parmi nous peut-il ou veut-il te servir de caution ? reprit l’homme masqué.

— Je l’ignore, je ne connais pas les personnes au milieu desquelles je me trouve.

— Qu’en sais-tu ?

— Je le suppose, toutes ayant, ainsi que moi, un masque sur le visage.

— Les Cœurs sombres, dit l’interrogateur d’un ton emphatique, ne se regardent pas au visage, ils sondent les âmes.

Le général s’inclina à cette phrase qui lui parut passablement amphigourique.

L’interrogateur continua :

— Connais-tu les conditions de ton affiliation ?

— Je les connais.

— Quelles sont-elles ?

— Sacrifier mère, père, frères, parents, amis et moi-même sans hésiter, à la cause que je jure de défendre.

— Après ?

— Au premier signal, soit de jour, soit de nuit, même au pied des autels,