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assez sur ce sujet, vous devez me connaître assez pour savoir que je ne transigerai jamais avec mon devoir.

— Il ne me reste donc plus qu’à souhaiter bonne chance à Votre Excellence, général, car vous savez que vous devez arriver seul à la Quinta Verde, et que je ne puis vous escorter plus loin.

— Très bien, restez ici, faites provisoirement mettre pied à terre à vos hommes, surtout surveillez avec soin les environs et exécutez ponctuellement les ordres que je vous ai donnés ; allons, adieu.

Diego s’inclina avec tristesse et retira sa main que, jusqu’à ce moment, il avait tenue posée sur la bride du cheval du général.

Celui-ci s’enveloppa dans son manteau dont il avait un peu dérangé les plis, et fit entendre ce claquement de langue habituel aux ginetes pour exciter leurs montures.

À ce signal bien connu de lui, le cheval dressa les oreilles et comme c’était un animal de race, malgré la fatigue qui l’accablait il partit au galop.

Au bout de quelques minutes d’une course rapide, le général s’arrêta ; mais il paraît que cette fois il était arrivé au terme de son voyage, car il mit pied à terre, jeta la bride sur le cou de son cheval, et, sans plus s’occuper de ce qu’il deviendrait que s’il n’eût été qu’un bidet de poste il marcha résolument vers la maison qu’il avait entrevue quelque temps auparavant et dont il n’était plus éloigné que de dix pas à peine.

Cette distance fut bientôt franchie.

Arrivé à la porte, il s’arrêta une seconde, regarda autour de lui comme pour sonder les ténèbres.

Tout était calme et silencieux.

Malgré lui, le général fut saisi de cette crainte vague qui s’empare de l’homme le plus courageux lorsqu’il se trouve en face de l’inconnu.

Mais le général Bustamente, que le lecteur a reconnu déjà, était un trop vieux soldat pour se laisser dominer par une impression, si forte qu’elle fût, pendant longtemps ; celle-ci n’eut pour lui que la rapidité d’un éclair, il reprit presque immédiatement son sang-froid.

— Est-ce que j’aurais peur, moi ! murmura-t-il avec un sourire ironique, et, s’approchant résolument de la porte, il frappa trois coups à intervalles égaux avec le pommeau de son épée.

Ses bras furent subitement pris par des mains invisibles, un bandeau tomba sur ses yeux et une voix faible comme un souffle murmura à son oreille :

— N’essaie pas de résister, vingt poignards sont dirigés contre ta poitrine ; au premier cri, au moindre geste tu es mort ; réponds catégoriquement à mes questions.

— Ces menaces sont de trop, répondit le général d’une voix calme ; puisque je suis venu de ma libre volonté, c’est que je n’ai pas l’intention de résister ; interrogez, je répondrai.

— Que viens-tu chercher ici ? reprit la voix.

— Les Cœurs sombres.