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droite la bourse que don Gregorio lui avait donnée, c’est joli, vingt onces d’or ! voyons à présent si le général Bustamente sera aussi généreux que ses ennemis. Eh ! les nouvelles que je lui apporte sont importantes pour lui ; tâchons qu’il les paie cher !

Après avoir promené les yeux autour de lui afin de s’orienter, il se dirigea au grand trot vers le palais du gouvernement, tout en murmurant à part lui :

— Bah ! les temps sont durs ! si l’on n’était pas un peu adroit, il n’y aurait réellement pas moyen d’élever honnêtement sa famille !

Cette réflexion, d’une moralité un peu risquée, fut accompagnée d’une grimace dont l’expression aurait donné fort à penser à don Tadeo, s’il avait pu l’apercevoir.



XIII

AMOUR


Le lendemain au point du jour, les deux Français furent éveillés par les rayons du soleil.

La journée promettait d’être magnifique.

Le ciel n’avait pas un nuage.

Une légère vapeur pleine d’âcres senteurs s’élevait lentement de la terre, pompée par les rayons du soleil qui, d’instant en instant, faisait davantage sentir sa chaude influence.

La brise du matin rafraîchissait l’air et invitait à la promenade.

Les jeunes gens, entièrement remis de leurs fatigues, sautèrent joyeusement à bas de leurs cadres et s’habillèrent en toute hâte.

La chacra qu’ils n’avaient fait qu’entrevoir la nuit précédente, à la lueur douteuse de la lune, était une ferme immense, contenant de vastes bâtiments et entourée de champs en plein rapport.

La plus grande animation régnait déjà partout. Des péons montés sur des chevaux à demi sauvages faisaient sortir le ganado, — bestiaux, — qu’ils conduisaient dans les prairies artificielles, d’autres couraient autour des chevaux qu’ils réunissaient avec force cris et qu’ils menaient à l’abreuvoir.

Dans le patio, le majordome surveillait des enfants et des femmes occupés à traire les vaches.

Enfin cette demeure, qui leur avait semblé si triste et si sombre la nuit, avait pris à la clarté du jour un aspect de vie et de gaieté qui faisait plaisir à voir.

Les cris des péons se mêlaient aux beuglements des bestiaux, aux abois des chiens et aux chants des coqs, et formaient ce mélodieux concert que l’on entend seulement dans les fermes et qui toujours réjouit le cœur.

Il est une justice que nous voulons ici rendre à la République chilienne, c’est que seule, de tous les États de l’Amérique du Sud, elle a compris que la