Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Don Pedro lui jeta à la dérobée un regard qui sembla vouloir percer le tissu de son masque.

— Ce que je dirai sera court, répliqua-t-il ; je vous laisse le soin de juger de son importance. Le général don Pancho Bustamente assistera demain à la réunion.

— Vous en êtes sûr ? exclamèrent les deux conspirateurs avec un étonnement qui tenait beaucoup de l’incrédulité.

— C’est moi qui l’y ai déterminé.

— Vous ?

— Moi !

— Ignorez-vous donc, s’écria don Tadeo avec violence, de quelle façon nous punissons les traîtres ?

— Je ne suis pas un traître, puisqu’au contraire je livre entre vos mains votre plus implacable ennemi.

Don Tadeo lui jeta un regard soupçonneux.

— Ainsi le général ignore ?…

— Tout, fit don Pedro.

— Dans quel but cherche-t-il à s’introduire au milieu de nous ?

— Ne le devinez-vous pas ? dans celui de surprendre votre secret.

— Mais il risque sa tête.

— Pourquoi ? tout adepte doit être présenté par un parrain qui seul le connaisse. Nul ne doit voir son visage. Eh bien ! je le présente, ajouta-t-il avec un sourire d’une expression étrange.

— C’est juste. Mais s’il soupçonne votre trahison ?

— J’en subirai les conséquences ! mais il ne la soupçonnera pas.

— Pourquoi cela ? demanda don Gregorio.

— Parce que, répondit l’espion avec un cynique sourire, depuis dix ans, le général se sert de moi, et que, depuis dix ans, il n’a eu qu’à se louer des services que je lui ai rendus.

Il y eut un silence.

— Tenez ! fit don Gregorio après une assez longue pause, cette fois ce n’est pas dix onces, mais vingt que vous avez gagnées. Continuez à nous être fidèle.

Et il lui mit une lourde bourse dans la main.

L’espion la saisit avec un geste de convoitise et la fit prestement disparaître sous son poncho.

— Vous n’aurez aucun reproche à m’adresser, répondit-il en s’inclinant.

— Je le souhaite ! fit don Tadeo qui réprima à grand’peine un geste de dégoût ; souvenez-vous que nous serions sans pitié !

— Je le sais !

— Adieu !

— À demain !

Les hommes qui l’avaient amené et qui, pendant cet entretien, étaient restés immobiles, s’approchèrent de lui sur un geste de don Gregorio, lui bandèrent de nouveau les yeux et l’emmenèrent.

— Est-ce un traître ? se demanda don Gregorio, en écoutant le bruit des chevaux qui s’éloignaient.