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soit emparée. S’il en était ainsi, que ne parliez-vous ? Grâce à Dieu, je suis assez riche pour vous donner plus de ce misérable métal que dans vos rêves insensés vous n’avez cru en posséder jamais.

— Don Tadeo, vous nous avez mal jugés, répondit noblement le comte ; ce n’est pas la soif de l’or qui nous pousse, puisque notre intention en vous quittant est de nous retirer parmi les Indiens puelches.

Don Tadeo fit un mouvement de surprise,

— Ne prenez pas une mauvaise opinion de nous, continua chaleureusement le jeune homme, croyez que si un motif puissant ne nous obligeait pas à nous éloigner, moi, du moins, je serais heureux de rester auprès de vous, que j’aime et que je respecte comme un père.

Don Tadeo marchait avec agitation dans la salle ; au bout de quelques minutes il s’arrêta devant le comte.

— Ce motif, lui demanda-t-il affectueusement, pouvez-vous me le faire connaître ?

La jeune fille tendit curieusement la tête.

— Je ne le puis, murmura Louis en courbant le front.

Doña Rosario haussa les épaules d’un air dépité.

Aucune de ces nuances presque imperceptibles n’avait échappé au regard inquisiteur de Valentin.

— Fort bien, caballero, reprit don Tadeo avec une dignité froide et un accent blessé ; vous et votre ami êtes libres d’agir comme bon vous semblera. Pardonnez-moi les questions que je vous ai adressées, mais votre résolution, que je cherche en vain à m’expliquer, brise sans retour un espoir bien cher que j’aurais été heureux de voir se réaliser : je me suis trompé, n’en parlons plus. Dieu n’a-t-il pas dit : ouvre toute grande la porte de ta maison à l’hôte qui veut entrer et à celui qui veut sortir ! Voici ma lettre pour don Gregorio Peralta. Quand désirez-vous partir ?

— À l’instant même, répondit le comte en prenant la lettre d’une main tremblante ; mon ami et moi nous avions l’intention de vous faire nos adieux immédiatement après déjeuner.

— Oui, continua Valentin qui s’aperçut que son frère de lait, vaincu par l’émotion, ne pouvait continuer, nous voulions vous prier d’agréer nos remerciments pour l’amitié que vous avez daigné nous témoigner et de vous assurer que de loin comme de près votre souvenir sera toujours vivant au fond de nos cœurs.

— Adieu donc ! dit don Tadeo avec émotion. Dieu veuille que vous retrouviez autre part le bonheur qui vous attendait ici !

Valentin s’inclina sans répondre : les larmes l’étouffaient ; il craignait de n’avoir pas la force d’accomplir son triste sacrifice.

Le comte se retourna vers doña Rosario :

— Adieu ! señorita ! murmura-t-il d’une voix entrecoupée, soyez heureuse !

La jeune fille ne répondit pas.

Il se détourna brusquement et marcha à grands pas vers la porte.

Sur le point de sortir, malgré toute leur résolution, les deux jeunes gens