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du couchant teignaient de reflets changeants la cime des collines boisées ; une fraîche brise qui se levait agitait les branches des arbres avec de mystérieux murmures.

Dans ce pays, ou il n’y a pas de crépuscule, la nuit ne tarderait pas à m’envelopper de ses épaisses ténèbres.

Je me trouvais à peu près aux deux tiers du chaparral.

Déjà j’espérais atteindre sain et sauf la Léona, lorsque, tout à coup, mon cheval fit un brusque bond de côté, en dressant les oreilles et en renâclant avec force.

La secousse subite que je reçus faillit me désarçonner. Ce ne fut qu’à grand’peine que je parvins à me rendre enfin maître de ma monture, qui donnait des marques du plus grand effroi.

Comme cela arrive toujours en pareil cas, je cherchai instinctivement autour de moi la cause de cette panique.

Bientôt, la vérité me fut révélée.

Une sueur froide inonda mon visage, et un frisson de terreur parcourut tous mes membres au spectacle effroyable qui s’offrit à mes regards.

Cinq cadavres étaient étendus à dix pas de moi, sous les arbres.

Dans le nombre, se trouvaient ceux d’une femme et d’une jeune fille de quatorze ans.

Ces cinq personnes appartenaient à la race blanche. Elles paraissaient avoir longtemps et opiniâtrément combattu avant de succomber ; leurs corps étaient littéralement couverts de blessures ; de longues flèches à cannelures ondulées, peintes en rouge, leur traversaient la poitrine de part en part.

Les victimes avaient été scalpées.

De la poitrine de la jeune fille, ouverte en croix, le cœur était enlevé, arraché.

Les Indiens avaient passé là, avec leur rage sanguinaire et leur haine invétérée pour les blancs.

La forme et la couleur des flèches dénonçaient les Apaches, les plus cruels pillards du désert.

Autour des morts, je remarquai des débris informes de charrettes et de meubles.

Les malheureux, assassinés avec ces raffinements affreux de barbarie étaient sans doute de pauvres émigrants qui se rendaient à Castroville.

À l’aspect de ce spectacle navrant, rien ne peut rendre la pitié et la douleur qui envahirent mon âme !

Au plus haut des airs, des urubus et des vautours, attirés par l’odeur du sang, tournoyaient lentement au-dessus des cadavres, en poussant de lugubres cris de joie, et, dans les profondeurs du chaparral, les loups et les jaguars commençaient à gronder sourdement.

Je jetai un regard triste autour de moi.

Tout était calme.

Les Apaches avaient, selon toute probabilité, surpris les émigrants pendant une halte. Des ballots effondrés étaient encore rangés dans une certaine symétrie, et un feu, auprès duquel se trouvait un amas de bois sec, achevait de brûler.