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Dès qu’ils avaient vu tomber leur chef, les Indiens avaient disparu.




Deux heures plus tard, grâce aux peones amenés par le comte et Curumilla, la petite troupe arrivait saine et sauve à l’hacienda de la Paloma, conduisant avec elle le corps de doña Maria.




XLV

CÉSAR


Un mois environ après les événements que nous avons rapportés dans l’hacienda de la Paloma, deux hommes assis côte à côte au fond d’un bosquet de nopals, causaient vivement entre eux, tout en admirant un magnifique lever de soleil.

Ces deux hommes étaient Valentin Guillois et le comte de Prébois-Crancé.

Les Français assistaient, avec une espèce de recueillement mélancolique, au réveil de la nature ; le ciel était sans nuage, une légère brise embaumée de mille senteurs frémissait doucement à travers les nénuphars aux fleurs jaunes qui bordaient les rives d’un grand lac, sur lequel voguaient nonchalamment d’innombrables troupes de gracieux cygnes à tête noire ; les feux du soleil levant commençaient à dorer la cime des grands arbres, et les oiseaux de toutes sortes, cachés sous la feuillée, saluaient de leurs chants harmonieux la naissance du jour.

Le comte de Prébois-Crancé, inquiet du silence obstiné que gardait Valentin, prit enfin la parole :

— Lorsqu’en me réveillant il y a une heure, fit-il, tu m’as entraîné ici, afin, m’as-tu dit, de causer à notre aise, je t’ai suivi sans observation ; voici vingt minutes que nous sommes assis sous ce bosquet, et tu ne t’es pas décidé à t’expliquer ; ton silence m’inquiète, frère, je ne sais à quoi l’attribuer ; aurais-tu donc une nouvelle fâcheuse à m’annoncer ?

Valentin releva brusquement la tête.

— Pardonne-moi, Louis, répondit-il, je n’ai aucune nouvelle fâcheuse à t’annoncer, mais l’heure d’une suprême explication entre nous a sonné.

— Que veux-tu dire ?

— Tu vas me comprendre. Lorsque, il y a un an, dans ton hôtel des Champs-Élysées, réduit au désespoir et résolu à te réfugier dans la mort, tu me fis appeler, je m’engageai, si tu voulais vivre, à te rendre ce que tu avais perdu, non par ta faute, mais à cause de ton inexpérience. Tu as eu foi en moi : sans hésiter tu as abandonné la France, tu as dit pour toujours adieu à