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Mais, accablés par le nombre, les assiégés furent enfin obligés de reculer et de chercher un abri derrière la barricade.

Il y eut une minute de trêve pendant laquelle les Aucas se comptèrent.

Six des leurs étaient étendus morts, plusieurs autres avaient des blessures graves.

Valentin avait reçu un coup de hache sur la tête, mais, grâce à un brusque mouvement qu’il avait fait de côté, la blessure était peu profonde.

Trangoil Lanec avait le bras gauche traversé, don Tadeo et la Linda n’étaient pas blessés.

Valentin jeta un regard chargé d’une douleur suprême vers l’endroit de la grotte qui servait de refuge à la jeune fille, puis il ne songea plus qu’à faire noblement le sacrifice de sa vie.

Le premier il recommença la lutte.

Soudain, une violente fusillade partit du rivage.

Plusieurs Indiens tombèrent.

— Courage ! s’écria Valentin, courage ! voici nos amis !

Suivi de ses compagnons, une seconde fois il escalada la barricade et se rejeta dans la mêlée.

Tout à coup un cri d’appel d’une expression déchirante retentit dans la grotte.

La Linda se retourna, et poussant un rugissement de bête fauve, elle se précipita sur Antinahuel entre les bras duquel doña Rosario se débattait vainement.

Antinahuel, étourdi par cette attaque imprévue, lâcha la jeune fille et fit face à l’adversaire qui osait lui barrer le passage.

Il eut une seconde d’hésitation en reconnaissant la Linda.

— Arrière ! lui dit-il d’une voix sourde.

Mais la Linda, sans lui répondre, se jeta sur lui à corps perdu et lui planta son poignard dans la poitrine.

— Meurs donc, chienne ! hurla-t-il en levant sa hache.

La Linda tomba.

— Ma mère ! ma mère ! s’écria doña Rosario avec désespoir en s’agenouillant près d’elle et en la couvrant de baisers.

Le chef se baissa pour saisir la jeune fille, mais alors un nouvel adversaire se dressa terrible devant lui.

Cet adversaire était Valentin.

Le toqui, la rage au cœur de voir que la proie dont il se croyait certain lui échappait sans retour, s’élança sur le Français en lui portant un coup de hache que celui-ci para avec son rifle.

Alors les deux ennemis, les yeux étincelants, les dents serrées par la colère, se saisirent à bras-le-corps, s’enlacèrent l’un à l’autre comme deux serpents, et roulèrent sur le sol en cherchant mutuellement à se poignarder.

Cette lutte avait quelque chose d’atroce, auprès de cette femme qui agonisait et de cette autre à demi folle de douleur et d’épouvante.

Valentin était adroit et vigoureux, mais il avait affaire à un homme contre