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— Ooch ! et que va faire mon frère à la chevelure dorée ?

— Le sais-je ? Que Trangoil Lanec me conseille : c’est un guerrier renommé dans sa tribu, il trouvera probablement un stratagème pour nous sortir d’embarras.

— J’ignore ce que mon frère nomme un stratagème, mais je crois avoir une bonne idée.

— Parlez, chef, vos idées sont toujours excellentes, et en ce moment je suis convaincu qu’elles seront meilleures que jamais.

L’Indien baissa la tête avec modestie, un sourire de plaisir éclaira une seconde sa figure intelligente.

— Que mon frère écoute, dit-il. Peut-être Antinahuel est-il déjà sur nos traces ; s’il n’y est pas, il ne tardera pas à s’y mettre ; s’il nous rejoint pendant la marche, nous serons tués : que peuvent en rase campagne trois hommes contre soixante ? Mais non loin d’ici, je connais un endroit où nous nous défendrons facilement. Il y a plusieurs lunes, dans une malocca, dix guerriers de ma tribu et moi, nous avons résisté dans cette place pendant quinze jours entiers contre plus de cent guerriers des visages-pâles que j’ai enfin contraints à la retraite. Mon frère me comprend-il ?

— Parfaitement, chef, parfaitement, guidez-nous vers cet endroit, et si Dieu veut que nous l’atteignions, je vous jure que les mosotones de Antinahuel trouveront à qui parler s’ils osent s’y présenter.

Trangoil Lanec prit immédiatement la direction de la petite troupe, et lui fit faire un léger détour.

Dans l’intérieur de l’Amérique du Sud, ce qu’en Europe nous sommes convenus de nommer routes ou chemins n’existe pas ; mais un nombre infini de sentiers tracés par les bêtes fauves, qui se croisent, s’enchevêtrent dans tous les sens et finissent tous, après des méandres sans nombre, par aboutir à des ruisseaux ou à des rivières, qui depuis des siècles servent d’abreuvoirs aux animaux sauvages.

Les Indiens possèdent seuls le secret de se diriger à coup sûr dans ces labyrinthes inextricables ; aussi, après vingt minutes de marche, les voyageurs se trouvèrent-ils, sans savoir comment, au bord d’une charmante rivière d’un tiers de mille de large, au centre de laquelle s’élevait comme une sentinelle solitaire un énorme bloc de granit.

Valentin poussa un cri d’admiration à l’aspect de cette forteresse improvisée.

Les chevaux, comme s’ils eussent compris qu’ils étaient enfin arrivés en lieu sûr, entrèrent joyeusement dans l’eau, malgré la fatigue qui les accablait, et nagèrent vigoureusement vers le rocher.

Ce bloc de granit, qui de loin semblait inaccessible, était creux ; par une pente douce intérieure, il était facile de monter au sommet qui formait une plate-forme de plus de dix mètres carrés de circonférence.

Les chevaux furent cachés dans un coin de la grotte, où ils se couchèrent épuisés, et Valentin s’occupa à barricader l’entrée de la forteresse avec tout ce qui lui tomba sous la main, de façon à pouvoir opposer une vigoureuse résistance tout en restant à couvert.