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qui aurait facilement soutenu un poids décuple de celui de la frêle enfant qu’il portait.

Cependant l’orage s’était calmé peu à peu, le brouillard s’était dissipé, le soleil avait reparu, bien qu’il fût encore obscurci par des nuées qui passaient sur son disque, emportées par les derniers souffles de la tempête expirante.

Valentin connut alors toute l’horreur de la situation que les ténèbres lui avaient cachée jusqu’à ce moment.

Il ne put se rendre compte, en regardant le chemin qu’il avait suivi, de la façon dont il était venu jusque-là, comment il ne s’était pas brisé mille fois.

Remonter était impossible.

Descendre l’était encore plus.

À partir du bouquet de myrtes auprès duquel il était arrêté, les murs du précipice descendaient en ligne droite sans aucune saillie sur laquelle on pût mettre le pied.

Un pas de plus en avant, il était mort.

Un frisson involontaire parcourut tous ses membres, une sueur froide perla à la racine de ses cheveux, tout brave qu’il était il eut peur.

La Linda ne voyait rien, ne songeait à rien, elle regardait sa fille !

Valentin cherchait en vain comment il sortirait de ce mauvais pas. Seul, à la rigueur, il serait peut-être parvenu, avec des difficultés inouïes, à remonter, mais avec deux femmess dont une était évanouie, il n’y fallait pas songer.

Un cri de César lui fit vivement lever la tête.

Louis avait trouvé le moyen que Valentin désespérait de trouver.

Réunissant les lasos que les cavaliers chiliens portent constamment pendus à la sangle de leurs chevaux, il les avait solidement attachés les uns au bout des autres et en avait formé deux cordes qu’il faisait glisser dans le précipice, aidé par don Tadeo et les Indiens.

Valentin poussa un cri de joie, doña Rosario était sauvée.

Aussitôt que les lasos arrivèrent à sa portée, le jeune homme les saisit, et certain de leur solidité, il les réunit et fit une chaise à la mairière.

Mais une nouvelle difficulté se présenta :

Comment aller chercher au milieu des lianes la jeune fille évanouie ?

La Linda sourit de son embarras.

— Attendez, dit-elle.

Et bondissant comme une panthère, elle s’élança au milieu du fourré qui plia sous son poids, souleva sa fille dans ses bras, et d’un bond aussi sûr et aussi rapide que le premier, elle se retrouva sur la pente du précipice.

Valentin ne put retenir un cri d’admiration à ce trait inouï d’audace, que l’amour maternel était seul capable d’inspirer.

Le jeune homme attacha doña Rosario sur la chaise, il fit signe de hisser.

Alors les guerriers puelches, dirigés par le comte, attirèrent doucement à eux les lasos, tandis que Valentin et la Linda, s’accrochant tant bien que mal aux pointes des rochers et aux broussailles, maintenaient la jeune fille et garantissaient son corps délicat du contact des pierres aiguës qui auraient pu la blesser, au risque de se briser eux-mêmes vingt fois en perdant l’équilibre ou en faisant un faux pas.