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ment vagues et indécis qu’il se crut le jouet d’une illusion, et se pencha davantage encore pour s’assurer qu’il ne se trompait pas.

Il fixa malgré lui cet objet, quel qu’il fût, avec une attention si soutenue, une ténacité si grande, qu’il sentit un commencement d’ivresse envahir son cerveau ; ses tempes battirent avec force, un bourdonnement se fit dans ses oreilles ; fasciné peu à peu, attiré pour ainsi dire graduellement par cette attention même, tout en se rendant compte d’une manière lucide des phénomènes qui se produisaient en lui, tout en comprenant le danger inévitable qui le menaçait, il n’eut pas la force de détourner son regard de cet objet et le fixa, au contraire, davantage encore, avec cette volupté indéfinissable mêlée de terreur et de souffrance que l’on éprouve dans de semblables circonstances.

Au moment où il s’abandonnait sans résistance à cette attraction fatale, il se sentit vigoureusement rejeté en arrière.

L’illusion se dissipa aussitôt. De même qu’un homme délivré d’un cauchemar effrayant, il jeta autour de lui un regard incertain.

César, les quatre pattes fortement arcboutées sur le roc, tenait entre ses dents serrées un pan de son poncho.

Valentin devait la vie à l’instinct merveilleux du chien de Terre-Neuve.

Auprès de César était la Linda.

— Pouvez-vous me répondre maintenant ? lui dit-elle d’une voix brève.

— Parfaitement, señorita, répondit-il.

— Vous m’aiderez à sauver ma fille, n’est-ce pas ?

— C’est pour me mettre à sa recherche que je suis descendu dans ce gouffre.

— Merci, caballero, fit-elle avec effusion, elle est près d’ici ; Dieu a voulu que je sois arrivée assez à temps pour la préserver d’une horrible chute ; soutenue par votre précieux animal qui est venu à mon secours, j’ai retenu ma fille au moment où elle allait disparaître au fond du gouffre ; je l’ai couchée sur un buisson : elle est évanouie et n’a pas conscience de ce qui lui est arrivé ; venez, au nom du ciel ! venez, je vous en prie !

Et elle l’entraîna rapidement sur la pente de la barranca.

Le jeune homme la suivit.

La Linda semblait transfigurée, la certitude d’avoir, sauvé sa fille d’une mort affreuse faisait rayonner son visage d’une joie délirante.

Elle courait sur la pente du précipice avec une rapidité et un mépris du danger qui faisaient courir un frisson de terreur dans les veines de Valentin.

Doña Rosario gisait évanouie, ainsi que l’avait dit la Linda, étendue ou plutôt couchée comme dans un hamac au milieu d’un épais fourré de lianes enroulées, entrelacées, formant les paraboles les plus, extravagantes autour de cinq ou six énormes myrtes, elle se balançait mollement dans ce lit improvisé au-dessus d’un abîme de plus de mille toises.

En l’apercevant, la première impression de Valentin fut un sentiment de terreur folle qui lui fit froid au cœur, en songeant à l’épouvantable position dans laquelle se trouvait la jeune fille.

Mais dès que le premier moment fut passé, qu’il put regarder avec sang-froid, il reconnut qu’elle était parfaitement en sûreté au milieu de ce fourré