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Il n’est donné à aucune plume humaine de décrire l’épouvantable ouragan qui se déchaînait sur ces montagnes avec une furie inexprimable.

Des blocs de rochers énormes, cédant sous la force du vent et minés par les eaux, étaient précipités du haut en bas des mornes avec un fracas horrible ; des arbres séculaires étaient tordus et déracinés par la bourrasque qui les lançait dans l’espace comme des fétus de paille.

Le sifflement du vent, les éclats de la foudre, se mêlant au mugissement de la tempête, râle de la nature aux abois qui se débat sous la main puissante de Dieu, formaient l’harmonie la plus horriblement sublime qu’il soit possible d’imaginer.

Tout à coup un cri strident de douleur et d’agonie traversa l’espace et pour un instant domina tous les bruits du temporal.

Une voix, celle de don Tadeo, s’éleva avec un accent de désespoir suprême :

— Ma fille ! sauvez ma fille !

Le Roi des Ténèbres, méprisant le danger auquel il s’exposait, se redressa debout sur le chemin, les bras tendus vers le ciel, ses cheveux flottant au vent et le front ceint d’une auréole d’éclair.

Doña Rosario, trop faible et trop délicate pour se retenir aux pointes aiguës des rocs contre lesquels ses doigts se déchiraient, avait été saisie, enlevée par la bourrasque et lancée dans le précipice.

La Linda, sans prononcer une parole, avait plongé dans le gouffre pour sauver sa fille ou mourir avec elle.

— Oh ! s’écria le comte avec une fiévreuse énergie, je ramènerai doña Rosario, moi.

Et il s’élança, mais un poignet de fer l’arrêta subitement.

— Reste, frère, lui dit Valentin d’une voix triste et douce, laisse-moi courir ce péril.

— Mais…

— Je le veux !… qu’importe que je meure, ajouta-t-il avec amertume, on ne m’aime pas, moi ! et se tournant vers don Tadeo : Courage, ami, lui dit-il, je vous rendrai votre fille ou je périrai avec elle.

Il siffla son chien, auquel il fit sentir le rebozo, — écharpe, — de la jeune fille resté accroché à un buisson :

— Cherche ! César, cherche ! lui dit-il.

Le noble animal poussa un hurlement plaintif, aspira un instant l’air dans toutes les directions, puis après une minute d’hésitation, il remua la queue, se tourna vers son maître et s’élança sur la pente rapide et presque à pic du précipice.

Valentin, après avoir fait à son ami un dernier signe pour lui ordonner de le laisser agir seul, s’accrocha aux broussailles et commença à descendre.

L’ouragan sembla redoubler de fureur : le ciel, incessamment sillonné par les éclairs, se changea en une nappe de feu, la pluie tomba plus violemment encore.

Don Tadeo, cet homme si énergique, terrassé par ce coup terrible, sans force et sans courage, les genoux sur le sol inondé, priait avec ferveur Celui qui peut tout, de lui rendre sa fille.

Valentin avait disparu !