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— Oui, ajouta Valentin, parce que s’ils nous surprenaient il faudrait en découdre, et nous ne sommes pas en forces.

Don Tadeo comprit la justesse de cette observation.

Trangoil Lanec et Curumilla avaient détaché les chevaux des prisonniers qui paissaient mêlés à ceux des Aucas.

Don Tadeo et la jeune fille se mirent en selle.

La Linda, dont personne ne s’était, occupé, s’élança sur un cheval et se plaça derrière sa fille, le poignard à la main.

Valentin, s’il n’eût redouté les dénonciations de cette femme, l’aurait obligée à rester ; il ignorait ce qui s’était passé et le changement qui s’était opéré en elle depuis quelques jours.

En ce moment un Serpent Noir, moins ivre que les autres, ouvrit les yeux et jeta un cri d’alarme.

La Linda le poignarda sans hésiter.

La petite troupe s’éloigna sans autre empêchement, elle se dirigea vers la grotte naturelle où les chevaux avaient été laissés.

Dès que l’on fut arrivé, Valentin fit signe à ses amis de s’arrêter.

— Vous pouvez vous reposer un instant ici, dit-il, la nuit est tout à fait noire, dans quelques heures nous nous remettrons en route ; vous trouverez dans cette grotte deux lits de feuillage sur lesquels je vous engage à dormir, car à votre réveil vous aurez une rude route à entreprendre.

Ces paroles, dit avec le sans façon habituel au Parisien, amenèrent un joyeux sourire sur les lèvres des Chiliens.

Lorsqu’ils se furent jetés sur les feuilles amoncelées dans un coin de la grotte, le comte appela son chien qui vint aussitôt auprès de lui.

— Faites attention à ce que je vais vous ordonner, César, lui dit-il, vous voyez cette jeune fille, n’est-ce pas, mon bon chien ? eh bien, je la mets sous votre garde, je la confie à votre vigilance, vous entendez, César ? vous m’en répondez.

César avait écouté son maître en le regardant avec ses grands yeux intelligents, en remuant doucement la queue, puis il alla se coucher aux pieds de la jeune fille et lui lécha les mains.

La jeune fille saisit entre ses bras la bonne grosse tête du terre-neuvien et l’embrassa à plusieurs reprises en souriant au comte.

Celui-ci rougit jusqu’aux yeux et sortit de la grotte en trébuchant comme un homme ivre.

Le bonheur le rendait fou !

Il alla se jeter sur le sol à une légère distance, afin de savourer à loisir la joie qui inondait son cœur.

Il ne remarqua pas Valentin qui, appuyé contre un arbre, le suivait d’un regard triste.

Lui aussi, Valentin, aimait doña Rosario !

Une révolution subite venait de s’opérer dans son esprit : le hasard avait en un instant bouleversé sa vie jusque-là si insouciante, en lui révélant tout à coup la force de ce sentiment qu’il avait cru pouvoir maîtriser facilement.

Depuis sa naissance, absorbé par la tâche immense imposée à tous les pro-