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l’œil planait à une grande distance sur le pays environnant, et rendait toute surprise impossible.

Plusieurs feux étaient allumés ; les prisonniers, au nombre desquels il faut compter la Linda, désormais considérée comme telle, étaient libres en apparence et assis au pied d’un arbre, sans que les Indiens parussent s’occuper d’eux.

L’arrivée du guerrier puelche causa une vive émotion, vite réprimée par l’impassibilité indienne.

Trangoil Lanec fut conduit en présence du chef.

Comme la réputation de Trangoil Lanec était bien établie parmi ses compatriotes, Antinahuel, pour lui faire honneur, l’attendait à la place la plus élevée du camp, debout, les bras croisés sur la poitrine.

Les deux chefs se saluèrent en prononçant en même temps le marry-marry consacré, ils s’embrassèrent en se posant réciproquement le bras droit sur l’épaule gauche, et se prenant, par le petit doigt, ils s’avancèrent vers le feu, dont chacun s’était éloigné pour leur faire honneur, ils s’accroupirent en face l’un de l’autre et fumèrent silencieusement.

Cette importante partie du cérémonial terminée, Trangoil Lanec, qui connaissait de longue date le caractère cauteleux et fourbe de son confrère, prit le premier la parole.

— Mon frère Antinahuel chasse avec ses jeunes hommes ? dit-il.

— Oui, répondit laconiquement le toqui.

— Et la chasse de mon frère a été heureuse ?

— Très heureuse, fit Antinahuel avec un sourire sinistre en désignant du doigt les prisonniers, que mon frère ouvre les yeux et regarde.

Ooch ! fit Trangoil Lanec qui feignit d’apercevoir les Espagnols, des visages pâles ! mon frère a fait une bonne chasse en effet, il tirera une grosse rançon de ses prisonniers.

— Le toldo de Antinahuel est solitaire, il cherche une femme pour l’habiter ; il ne rendra pas ses prisonniers.

— Bon, je comprends, mon frère prendra une des femmes pâles ?

— La vierge aux yeux d’azur sera la femme d’un chef.

— Ooch ! pourquoi mon frère garde-t-il le Grand Aigle ? cet homme le gêne dans son camp.

Antinahuel ne répondit que par un sourire, à l’expression duquel le chef ne put se méprendre.

— Bon, reprit-il, mon frère est un grand chef, qui peut sonder sa pensée ?

Le guerrier puelche se leva.

Il quitta Antinahuel et se promena dans le camp, dont il feignit d’admirer l’ordre et la position, mais en réalité il se rapprocha peu à peu, d’une façon presque insensible, de l’endroit où étaient assis les prisonniers.

Antinahuel, flatté de l’approbation qu’un homme aussi justement renommé et respecté que Trangoil Lanec avait semblé donner à ses projets, vint le rejoindre et le conduisit lui-même auprès des trois malheureux Espagnols.

— Que mon frère regarde, dit-il en lui désignant la jeune fille, cette femme ne mérite-t-elle pas d’épouser un chef ?