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rieurement les pensées qui bouillonnaient et se heurtaient dans son cerveau, il vint, impassible en apparence, s’asseoir entre les deux chefs ; comme eux il alluma son cigare et fuma en silence.

Après un intervalle assez long, employé par nos quatre personnages à brûler consciencieusement jusqu’à la dernière parcelle de leur tabac, Trangoil Lanec se tourna vers chacun de ses auditeurs :

— Les guerriers sont nombreux, dit-il de sa voix profonde, nous ne pouvons donc espérer de les vaincre que par la ruse ; depuis que nous sommes sur leur piste, bien des événements se sont passés qu’il nous faut savoir ; nous devons nous informer aussi de ce que Antinahuel prétend faire de ses prisonniers et s’ils sont réellement en péril ; pour obtenir ces divers renseignements je m’introduirai dans leur camp. Antinahuel ignore les liens qui m’attachent à ceux qui sont en son pouvoir, il ne se méfiera pas de moi ; mes frères me suivront de loin, la nuit prochaine je leur apporterai des nouvelles,

— Bien, répondit Curumilla, mon frère est prudent, il réussira, mais je dois l’avertir que les guerriers au milieu desquels il va se trouver sont des Serpents Noirs, les plus lâches et les plus perfides de toutes les tribus araucaniennes ; qu’il calcule avec soin ses démarches et ses paroles pendant qu’il sera leur hôte.

Valentin regarda son frère de lait avec étonnement.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-il, et de quels Indiens parle-t-on ? est-ce que la piste de Antinahuel est retrouvée ?

— Oui, frère, répondit tristement le comte, doña Rosario et son père sont à une demi-lieue de nous, en danger de mort.

— Vive Dieu ! s’écria le jeune homme en se levant d’un bond et saisissant son rifle, nous sommes ici à discuter au lieu de voler à leur secours !

— Hélas ! murmura Louis, que peuvent quatre hommes contre cinquante ?

— C’est vrai ! fit-il avec accablement en se laissant retomber à sa place. Ainsi que l’a dit Trangoil Lanec, il ne s’agit pas de se battre, mais de ruser.

— Chef, observa Louis, votre plan me paraît bon ; seulement je le crois susceptible de deux améliorations essentielles.

— Que mon frère parle, s’il est sage, son conseil sera suivi, répondit Trangoil Lanec en s’inclinant avec courtoisie.

— Il nous faut tout prévoir afin de ne pas échouer. Allez au camp, nous marcherons-dans vos pas ; seulement, si vous ne pouviez pas nous rejoindre aussi vite que nous le désirons, convenons d’un signal qui nous avertisse de cette impossibilité, convenons aussi d’un autre signal au cas où votre vie serait menacée, afin que nous puissions vous secourir.

— Très bien, appuya Curumilla : si le chef réclame notre présence, il imitera le cri de l’épervier d’eau ; s’il est obligé de rester avec les Aucas, le chant du chardonneret, répété trois fois à intervalles égaux, nous avertira.

— Voilà qui est convenu, répondit Trangoil Lanec, quelle est la seconde observation de mon frère ?

Le comte fouilla dans son sac, en tira du papier, écrivit quelques mots sur une feuille qu’il plia en quatre, et le remit au chef en lui disant :

— Il est surtout important que ceux que nous voulons délivrer ne con-