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parvenir à renfermer si bien au fond de son cœur le secret de son changement à l’égard de doña Rosario, sans qu’il en transpirât quelque chose, soit dans ses gestes, soit dans ses paroles.

Antinahuel, dont l’attention était éveillée, l’avait surveillée avec soin et n’avait pas tardé à acquérir la preuve morale d’un complot tramé contre lui par son ancienne complice.

L’Indien était trop adroit pour se laisser deviner ; seulement il se tint sur ses gardes, se réservant à la première occasion de changer ses soupçons en certitude.

Il ordonna à ses mosotones d’attacher étroitement ses prisonniers chacun à un arbre.

Ordre qui fut immédiatement exécuté.

À cette vue la Linda oublia toute prudence, elle se précipita le poignard levé sur le chef, lui reprocha sa lâcheté et l’indignité de sa conduite, et voulut s’opposer de toutes ses forces au traitement barbare infligé à son mari et à sa fille.

Antinahuel dédaigna de répondre aux reproches qu’elle lui adressait ; il lui arracha brusquement son poignard, la renversa sur le sol et la fit attacher le visage tourné vers le soleil à une énorme poutre.

— Puisque ma sœur aime tant les prisonniers, lui dit-il avec ironie, il est juste qu’elle partage leur sort.

— Lâche ! répondit-elle en se tordant mais inutilement dans les liens qui lui entraient dans les chairs.

Le chef lui tourna le dos avec mépris.

Puis comme il comprit qu’il lui fallait récompenser la fidélité des guerriers qui suivaient sa fortune, il leur livra plusieurs outres d’aguardiente que ceux-ci se hâtèrent de vider.

C’est à la suite de cette orgie qu’ils avaient été découverts par le comte, grâce à la sagacité de son chien de Terre-Neuve.




XL

LES SERPENTS NOIRS.


Dès que Curumilla et Valentin furent éveillés, on sella les chevaux, puis les Indiens s’accroupirent auprès du feu en faisant signe aux Français de les imiter.

Le comte était désespéré de la lenteur de ses amis ; s’il n’avait écouté que ses propres impressions, il se serait mis de suite à la poursuite des ravisseurs. Mais il comprenait combien, dans la lutte décisive qu’il allait entreprendre, l’appui des Ulmènes lui était nécessaire, soit pour l’attaque, soit pour la défense, soit encore pour suivre la piste des Aucas ; aussi, renfermant inté-