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en votre pouvoir de me le prendre : ce sont mes prisonniers. Je les garde pour leur faire endurer les plus affreux supplices ! adieu !

Et d’un pas aussi ferme que si rien ne lui était arrivé, il regagna son camp.

Là une grande douleur l’attendait

À l’appel du chasqui, tous ses guerriers l’abandonnaient les uns après les autres, les uns avec joie, les autres avec tristesse ; lui, qui, cinq minutes auparavant, comptait plus de huit cents guerriers sous ses ordres, vit leur nombre diminuer si rapidement que bientôt il ne lui en resta plus que trente-huit.

Ceux qui lui demeurèrent fidèles étaient pour la plupart ses parents, ou des mosotones qui, de père en fils, servaient sa famille.

Le Loup-Cervier lui jeta de loin un adieu ironique et s’éloigna au galop avec toute sa troupe.

Lorsque Antinahuel eut compté le peu d’amis qui lui restaient, une douleur immense lui broya le cœur ; il se laissa tomber au pied d’un arbre, ramena un pan de son poncho sur son visage et pleura.

Cependant, grâce aux facilités que la Linda avait procurées à don Tadeo, celui-ci avait pu depuis quelques jours se rapprocher de doña Rosario.

La présence de l’homme qui l’avait élevée fut une grande consolation pour la jeune fille ; mais lorsque don Tadeo, qui n’avait plus désormais de considérations à garder, lui avoua qu’il était son père, une joie indicible s’empara de la pauvre enfant, il lui sembla qu’elle n’avait plus rien à redouter, et que puisque son père était auprès d’elle, il lui serait facile d’échapper au terrible amour de Antinahuel.

La Linda, que don Tadeo souffrait par pitié, plutôt qu’il ne l’acceptait auprès de lui, considérait avec une joie d’enfant le père et la fille causant entre eux, la main dans la main, et se prodiguant ces caresses dont elle était privée, mais qui pourtant la rendaient heureuse venant de sa fille.

Cette femme était bien réellement mère avec tout le dévouement et toute l’abnégation que comporte ce titre.

Elle ne vivait plus que pour sa fille : pourvu qu’elle la vît soutire, un rayon de bonheur descendait dans son âme flétrie.

Pendant que se passaient les faits que nous avons rapportés plus haut, les trois Chiliens accroupis dans un coin du camp, absorbés dans une douce causerie, n’avaient rien vu ni rien entendu.

Don Tadeo et doña Rosario étaient assis au pied d’un arbre, et à quelque distance la Linda, sans oser se mêler à leur conversation, les contemplait avec délices.

Sa première douleur calmée, Antinahuel se redressa aussi fier et aussi implacable qu’auparavant.

En levant les yeux, ses regards tombèrent machinalement sur ses prisonniers dont la joie semblait le narguer. À cette vue, une rage insensée s’empara de lui.

Déjà, depuis plusieurs jours, il soupçonnait que la Linda le trahissait.

Malgré les précautions dont elle s’était entourée, doña Maria n’avait pu