Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et à quelles conditions le grand auca-coyog a-t-il dit que cette paix devait être conclue ? demanda-t-il d’un ton sec.

— Les conditions sont celles-ci, répondit impassiblement le Loup-Cervier : Antinahuel rendra de suite les prisonniers blancs qui sont entre ses mains, il licenciera l’armée qui retournera dans ses tolderias, les Araucans payeront aux visages pâles deux mille moutons, cinq cents vigognes et huit cents bœufs, et la hache de guerre sera enterrée sous la croix du dieu des Huincas.

— Oh ! oh ! fit le toqui avec un sourire amer, ces conditions sont dures ; il faut que mes frères aient eu bien peur pour les accepter ! Et si je refuse, moi, de ratifier cette paix honteuse, qu’arrivera-t-il ?

— Mais mon père ne refusera pas, répondit le Loup-Cervier d’une voix doucereuse.

— Si je refuse ? reprit-il avec force.

— Bon, mon père réfléchira, il est impossible que ce soit son dernier mot.

Antinahuel, mis hors de lui par cette feinte douceur, tout rusé qu’il était, ne soupçonna pas le piège qu’on lui tendait et y tomba.

— Je vous répète à vous, le Loup-Cervier, dit-il d’une voix haute, que la fureur faisait vibrer, et à tous les chefs qui m’entourent, que je refuse de ratifier ces conditions déshonorantes ! que jamais je ne consentirai à autoriser de mon nom la honte de mon pays ! Ainsi, maintenant que vous avez ma réponse, vous pouvez vous retirer.

— Pas encore ! dit à son tour le Loup-Cervier d’une voix brève, je n’ai pas fini.

— Qu’avez-vous encore à me dire ?

— Le conseil, qui est composé d’hommes sages de toutes les tribus, avait prévu le refus de mon père.

— Ah ! s’écria Antinahuel avec ironie ; en effet, ses membres sont pleins de sagacité ; et qu’ont-ils résolu en conséquence ?

— Ceci : la hache du toqui est retirée à mon père, tous les guerriers araucans sont déliés du serment de fidélité envers lui, le feu et l’eau sont refusés à mon père sur le territoire de la Confédération ; il est déclaré traître à la patrie, ainsi que ceux qui n’obéiront pas et resteront avec lui, on leur courra sus ainsi qu’à mon père. La nation araucanienne ne veut pas plus longtemps servir de jouet et être la victime de l’ambition effrénée d’un homme indigne de la commander ; j’ai dit.

Pendant cette terrifiante péroraison, Antinahuel était resté immobile, les bras croisés sur la poitrine, la tête haute et un sourire railleur sur les lèvres.

— Avez-vous fini enfin ? demanda-t-il.

— J’ai fini, répondit le Loup-Cervier ; à présent le chasqui va proclamer dans votre camp ce que, moi, je viens de dire au feu du conseil.

— Bien, qu’il aille, répondit Antinahuel en haussant les épaules. Ah ! vous pouvez me retirer la hache du toqui, que m’importe cette vaine dignité ! vous pouvez me déclarer traître à la patrie, j’ai pour moi ma conscience qui m’absout ; mais ce que vous tenez surtout à avoir, vous ne l’aurez pas, il n’est pas