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Le comte, la tête dans la main droite, le coude appuyé sur le genou, réfléchissait

Valentin, placé à une légère distance, le dos appuyé contre un énorme myrte de près de trente mètres de haut, fumait dans une pipe indienne, en caressant d’une main son chien couché à ses pieds, et en traçant de l’autre, avec la baguette de son fusil, sur le sol, des figures plus ou moins géométriques, qu’il effaçait machinalement au fur et à mesure.

L’endroit où étaient arrêtés nos voyageurs était une de ces clairières comme en fourmillent les forêts américaines.

Vaste espace jonché d’arbres morts de vieillesse, ou frappés par la foudre, profondément encaissé entre deux collines et formant une quebrada, au bas de laquelle murmurait un de ces ruisseaux sans nom qui descendent des Cordillères, et après un cours de quelques lieues, vont se perdre dans les grands fleuves.

La place était des mieux choisies pour une halte de quelques heures pendant le jour, afin de se reposer à l’ombre en laissant tomber la force des rayons du soleil ; mais pour un campement de nuit, c’était la pire position qui se puisse voir, à cause du voisinage de la source, qui servait d’abreuvoir aux bêtes fauves, ainsi que de nombreuses traces de pas dans la vase des deux rives l’indiquaient clairement.

Les Indiens étaient trop expérimentés pour commettre la faute de s’arrêter de leur plein gré en ce lieu ; ce n’avait été que dans l’impossibilité d’aller plus loin qu’ils avaient consenti à y passer la nuit.

Les chevaux étaient entravés à l’amble, non loin du feu ; le corps d’un superbe guanacco, tué par Curumilla, et auquel manquait le cuissot qui rôtissait pour le souper, pendait à l’une des branches maîtresses d’un espino.

La journée avait été rude, la nuit promettait d’être tranquille. Les voyageurs attaquèrent bravement le souper, afin de se livrer plus tôt au repos dont ils avaient un besoin extrême.

Les quatre hommes n’échangèrent pas une parole pendant le repas ; le dernier morceau avalé, les Indiens jetèrent dans le feu quelques brassées de bois sec dont ils avaient une ample provision auprès d’eux, et s’enveloppant dans leurs ponchos et leurs couvertures, ils s’endormirent ; exemple suivi presque immédiatement par le comte, qui était rompu de fatigue.

Valentin et César restèrent seuls pour veiller au salut commun.

Certes, nul n’aurait reconnu, dans l’homme au regard pensif et au front soucieux creusé par une ride hâtive, qui se tenait en sentinelle vigilante, l’œil et l’oreille au guet, le sous-officier de spahis, railleur et insouciant, qui, moins de huit mois auparavant, avait débarqué à Valparaiso, le poing sur la hanche et la moustache retroussée.

Les événements qui s’étaient passés avaient peu à peu modifié ce caractère faussé par une mauvaise direction.

Les nobles instincts qui sommeillaient au fond du cœur du jeune homme avaient vibré au contact de la nature majestueuse, grandiose et puis-