heure tout sera dit, elle sera la maîtresse du grand toqui des Araucans. Comment trouves-tu ma vengeance ? ai-je atteint mon but, cette fois ?
Don Tadeo ne répondit pas : ce cynisme effroyable dans une femme, l’épouvantait.
— Eh bien ! reprit-elle d’une voix moqueuse, tu ne dis rien ?
Il la regarda un instant d’un œil égaré, puis il éclata tout à coup d’un rire strident et convulsif.
— Folle ! folle ! s’écria-t-il d’une voix vibrante. Ah ! tu t’es vengée, dis-tu ! folle ! Comment, tu es mère, tu adores ta fille, et froidement, de parti pris, tu conçois de pareils crimes ! mais tu ne crois donc pas en Dieu ? tu ne crains donc pas que sa justice t’écrase ? Folle ! sais-tu ce que tu as fait ?
— Ma fille ! tu as parlé de ma fille ! rends-la-moi ! dis-moi où elle est, et je te le jure, je sauverai cette femme ; ma fille ! oh ! si je la voyais !
— Ta fille, malheureuse ! serpent gonflé de fiel, peux-tu songer encore à elle, après les crimes que tu as commis !
— Oh ! si je la retrouvais, je l’aimerais tant qu’elle me pardonnerait !
— Crois-tu ? fit don Tadeo avec une ironie écrasante.
— Oh ! oui, une fille ne peut haïr sa mère !
Don Tadeo la prit violemment par le bras, et la jetant rudement au pied de l’amas de feuilles sur lequel reposait doña Rosario :
— Demande-le-lui donc à elle-même ! s’écria-t-il d’une voix éclatante.
— Ah ! fit-elle avec désespoir, que dis-tu ? que dis-tu, Tadeo ?
— Je dis, misérable, que cette innocente créature après laquelle tu t’es acharnée comme une hyène, cette pauvre enfant à laquelle tu as fait souffrir un martyre sans nom, est ta fille !… ta fille, entends-tu ?… celle que tu prétends tant aimer et qu’il n’y a qu’un instant tu me redemandais avec tant d’insistance !…
La Linda resta un instant immobile comme frappée de la foudre.
Soudain elle se redressa et éclatant d’un rire de démon :
— Bien joué ! s’écria-t-elle, bien joué, don Tadeo ! Vrai Dieu ! une seconde j’ai cru que tu me disais la vérité et que cette créature était réellement ma fille !
— Oh ! murmura don Tadeo, cette misérable ne reconnaît pas son enfant ; elle n’a pas de cœur puisque rien ne lui crie que cette victime qu’elle sacrifie à sa honteuse vengeance est son enfant !
— Non, je ne te crois pas ! ce n’est pas possible ! Dieu n’aurait pas permis un si grand crime !… Quelque chose m’aurait avertie que c’était elle.
— Ceux que Dieu veut perdre il les aveugle, misérable femme ; il fallait un châtiment exemplaire à sa justice que tu as lassée !
La Linda tournait dans le toldo comme une bête fauve en poussant des cris inarticulés et en répétant incessamment d’une voix brisée :
— Non ! non ! ce n’est pas ma fille ! Dieu ne l’aurait pas permis.
Un vif sentiment de haine s’empara malgré lui de don Tadeo à la vue de cette immense douleur ; lui aussi voulut se venger.
— Insensée, lui dit-il, cette enfant que je t’ai ravie n’avait-elle pas un