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Elle avait les bras en croix sur la poitrine ; son visage était pâle, ses traits tirés et fatigués, deux lignes humides sur ses joues creusées, montraient des traces de larmes taries depuis peu.

Elle avait l’apparence d’une morte.

Don Tadeo s’y trompa.

— Mon Dieu ! s’écria-t-il avec désespoir, elle est morte !

Et il s’élança éperdu vers elle.

La Linda le retint.

— Non, dit-elle, elle dort.

— Mais, reprit-il avec défiance, ce sommeil ne peut être naturel, notre arrivée l’aurait éveillée.

— Ce sommeil, en effet, n’est pas naturel, c’est à moi qu’elle le doit.

Don Tadeo lui jeta un regard inquisiteur.

— Oh ! rassure-toi, fit-elle avec ironie, elle est bien vivante, seulement il fallait qu’elle s’endormît.

Don Tadeo resta muet.

— Tu ne me comprends pas, reprit-elle, je vais m’expliquer, cette jeune fille que tu aimes tant…

— Oh ! oui, je l’aime, interrompit-il. Pauvre enfant, était-ce donc ainsi que je devais la retrouver !

La Linda sourit avec amertume.

— C’est moi qui te l’ai enlevée.

— Malheureuse !

— Je te hais et je me venge ! Je sais l’amour profond que tu portes à cette créature : te l’enlever était te frapper au cœur, je l’ai prise !… Je voulais d’abord l’envoyer esclave dans le fond des Pampas, au Grand-Chaco, que sais-je !

— Misérable ! s’écria don Tadeo avec une sourde colère.

— Oui, en effet, reprit la Linda en souriant ; et feignant de se méprendre à l’exclamation de son ennemi, cette vengeance était misérable, elle n’atteignait pas le but que je me proposais ; mais j’étais cependant sur le point de m’en contenter, lorsque le hasard vint m’offrir celle qui seule pouvait me satisfaire en te brisant le cœur.

— Quelle épouvantable infamie a imaginée ce monstre ? murmura don Tadeo qui contemplait avec inquiétude la jeune fille endormie.

— Antinahuel, l’ennemi de ta race, le tien, était amoureux de cette femme.

— Oh ! s’écria-t-il avec horreur.

— Oui, il l’aimait, continua impassiblement la Linda ; je résolus de la lui vendre, ce que je fis ; seulement, lorsque le chef voulut profiter des droits que je lui avais donnés sur sa prisonnière, celle-ci se redressa, et s’arma soudain d’un poignard dont elle menaça de se tuer.

— Noble enfant ! murmura-t-il avec attendrissement.

— N’est-ce pas ? fit la Linda avec ironie. J’eus pitié d’elle, et comme je ne voulais pas sa mort, mais bien son déshonneur, ce soir je lui ai fait verser de l’opium qui la livrera sans défense aux caresses de Antinahuel. Dans une