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Dès qu’il a devant lui quelques jours, ou seulement quelques heures, il forme les plans les plus fous et finit bientôt par se persuader que leur réalisation est possible, et même facile.

Tout lui devient un texte sur lequel il bâtit ses projets, et au fond de son cœur il compte surtout sur les chances favorables que peuvent lui offrir l’inconnu, le hasard ou la Providence, trois mots qui, dans l’esprit des malheureux, sont synonymes et qui, depuis que le monde existe, ont arrêté plus de misérables sur le bord de l’abîme que toutes les banales consolations qu’on leur a adressées.

L’homme est essentiellement rêveur et songe-creux : tant qu’il a devant lui le champ libre, que son imagination peut en liberté prendre ses ébats, il espère.

Aussi don Tadeo, bien que doué d’un esprit d’élite et d’une intelligence supérieure, se laissa-t-il malgré lui aller à former les plus étranges projets de fuite, et bien qu’au pouvoir de son plus implacable ennemi, seul et sans armes dans un pays inconnu, conçut-il la possibilité, non seulement de retrouver sa fille, mais encore de l’arracher des mains de ses persécuteurs et de se sauver avec elle.

Ces projets et ces rêves ont au moins cela de bon, qu’ils font rentrer l’homme dans la complète jouissance de ses facultés, lui rendent le courage et lui permettent d’envisager de sang-froid la position dans laquelle il se trouve.

Cependant les Indiens s’étaient insensiblement rapprochés des montagnes ; maintenant ils gravissaient une pente non interrompue de collines, premiers plans et contreforts des Cordillères, dont la hauteur augmentait de plus en plus.

Le soleil, très bas à l’horizon, allait disparaître, lorsque le chef commanda la halte.

Le lieu était des mieux choisis, c’était un étroit vallon situé sur la cime peu élevée d’une colline, dont la position rendait une surprise presque impossible.

Antinahuel fit établir le camp, tandis que quelques hommes se détachaient, les uns pour aller à la découverte, les autres pour chercher à tuer un peu de gibier.

Dans la rapidité de leur fuite, les Araucans n’avaient pas songé à se munir de vivres.

Quelques arbres furent abattus pour former un retranchement provisoire, et des feux allumés.

Au bout d’une heure, les chasseurs revinrent chargés de gibier.

Les éclaireurs n’avaient rien découvert d’inquiétant.

Le repas du soir fut joyeusement préparé, chacun lui fit honneur.

Antinahuel semblait avoir oublié sa haine pour don Tadeo, il lui parlait avec la plus grande déférence et avait pour lui les plus grands égards. Se confiant entièrement à sa parole, il le laissait complètement libre de ses actions, sans paraître le moins du monde s’inquiéter de ce qu’il faisait.

Dès que le repas fut terminé, on plaça des sentinelles, et chacun se livra au repos.