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Ce fut alors qu’il entendit les cris d’encouragement de Valentin et du comte ; un sourire triste effleura ses lèvres, il leur dit adieu dans son cœur, car il n’espérait plus les revoir.

Antinahuel avait, lui aussi, entendu les cris des Français ; à la vue des efforts incroyables qu’ils tentaient pour voler au secours de leur ami, il comprit que, s’il tardait, cette proie précieuse qu’il convoitait finirait par lui échapper.

Il se dépouilla vivement de son poncho, et le lança adroitement sur la tête de don Tadeo ; celui-ci, aveuglé et embarrassé dans les plis de l’ample vêtement de laine, fut désarmé.

Une dizaine d’Indiens se précipitèrent sur lui, et toujours enveloppé dans le poncho, au risque de l’étouffer, ils le garrottèrent solidement afin de l’empêcher de faire le moindre mouvement.

Antinahuel jeta son prisonnier en travers sur le cou de son cheval et s’élança dans la plaine suivi de ses guerriers, en poussant un long hurlement de triomphe.

Voilà pourquoi, lorsque les deux Français étaient parvenus à rompre le mur vivant qui se dressait devant eux, ils n’avaient pu retrouver leur ami, qui avait disparu sans laisser de traces.

Antinahuel, tout en fuyant avec la rapidité d’une flèche, avait cependant rallié autour de lui un bon nombre de cavaliers, si bien qu’au bout de vingt minutes à peine il se trouvait à la tête de près de cinq cents guerriers parfaitement montés et résolus, sous son commandement, à vendre chèrement leur vie.

Le toqui forma de ces guerriers un escadron compact, et se retournant à plusieurs reprises comme le tigre poursuivi par les chasseurs, il chargea vigoureusement les cavaliers chiliens, qui parfois le serraient de trop près dans sa fuite.

Quand il fut arrivé à une certaine distance, que les vainqueurs eurent renoncé à le suivre plus loin, il s’arrêta pour s’occuper de son prisonnier et laisser à sa troupe le temps de reprendre haleine.

Depuis sa capture, don Tadeo n’avait pas donné signe de vie.

Antinahuel craignit avec raison que, privé d’air, rompu par la rapidité de la course, il ne se trouvât dans un état dangereux.

Le toqui ne voulait pas que son ennemi mourût ainsi, il avait formé sur lui des projets qu’il tenait à mettre à exécution.

Il se hâta donc de dénouer le lasso, dont les tours nombreux serraient son prisonnier dans toutes les parties du corps, puis il enleva le poncho qui le couvrait.

Don Tadeo était évanoui.

Antinahuel l’étendit sur le sable, et avec une obséquiosité que seules, une profonde amitié ou une haine invétérée peuvent pousser aussi loin, il lui prodigua les soins les plus attentifs.

D’abord il desserra ses habits afin de lui faciliter les moyens de respirer, puis, avec de l’eau mélangée de rhum, il lui frotta les tempes, l’épigastre et la paume des mains.