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m’en croyez, nous nous hâterons de prendre quelques heures de repos, afin de pouvoir nous remettre en route le plus tôt possible.

Nul ne fit d’objection à cette observation, et ces hommes de fer, malgré les chagrins qui les dévoraient et les inquiétudes dont ils avaient l’esprit bourrelé, s’enveloppèrent dans leurs ponchos, s’étendirent sur la terre nue, et quelques minutes plus tard, ainsi qu’ils l’avaient dit, ils dormaient profondément.

Seul, César veillait au salut de tous.




XXXIV

PREMIÈRES HEURES DE CAPTIVITÉ.


Trangoil Lanec ne s’était pas trompé, c’était bien don Tadeo qu’il avait aperçu galopant aux côtés du toqui.

Le Roi des Ténèbres n’était pas mort, il n’était même pas blessé, mais il était prisonnier de Antinahuel, c’est-à-dire de son ennemi le plus acharné, de l’homme auquel, quelques heures auparavant, il avait fait une de ces insultes que les Araucans ne pardonnent jamais.

Voici comment les choses s’étaient passées :

Lorsque le toqui avait vu que la bataille était définitivement perdue, qu’une plus longue lutte n’aurait pour résultat que de faire massacrer les braves guerriers qui lui restaient, il n’avait plus eu qu’un désir : s’emparer, coûte que coûte, de son ennemi mortel, afin, à défaut de son ambition, d’assouvir sa haine et de tenir le serment que jadis il avait fait à son père mourant.

D’un geste il avait convoqué ses Ulmènes, leur avait en quelques paroles expliqué ses intentions, en même temps qu’il expédiait un exprès à son camp, avec ordre de faire quitter le champ de bataille à doña Rosario.

Nous avons rapporté plus haut ce qui était arrivé. Les Ulmènes avaient exécuté le plan de leur chef avec une habileté consommée.

Don Tadeo, séparé des siens, ne voyant plus autour de lui que trois ou quatre cavaliers, comprit qu’il était perdu.

Pressé de toutes parts, don Tadeo se défendait comme un lion, abattant à coups de sabre tous ceux qui se hasardaient trop près de lui.

C’était un spectacle effrayant que celui qu’offraient ces quatre ou cinq hommes qui, sachant qu’ils étaient voués à la mort, soutenaient un combat de Titans contre plus de cinq cents adversaires acharnés après eux.

Antinahuel avait ordonné qu’on s’emparât de son ennemi vivant, aussi les Aucas se contentaient-ils de parer sans riposter les coups qu’il leur portait.

Cependant le Roi des Ténèbres avait vu ses fidèles succomber les uns après les autres à ses côtés ; il restait seul, mais il combattait toujours, désirant avant tout ne pas tomber vivant entre les mains des Araucans.