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— Que mes frères se consolent, dit-il, le Grand Aigle des blancs n’est pas mort.

— Le chef le sait ? s’écrièrent les jeunes gens avec joie.

— Je le sais, reprit Trangoil Lanec. Que mes frères écoutent : Curumilla et moi, nous sommes des chefs dans notre tribu ; si nos opinions nous défendaient de combattre pour Antinahuel, elles nous empêchaient aussi de porter les armes contre notre nation ; nos amis ont voulu aller joindre le Grand Aigle, nous les avons laissés agir à leur guise ; ils voulaient protéger un ami, ils avaient raison, nous les avons laissés partir, mais après leur départ nous avons songé à la jeune vierge des visages pâles, et nous avons réfléchi que si les Aucas perdaient la bataille, la jeune vierge, d’après l’ordre du toqui, serait la première mise en sûreté ; en conséquence, nous nous sommes tapis dans les halliers sur le chemin que, selon toutes probabilités, suivraient les mosotones en fuyant avec la jeune vierge. Nous n’avons pas vu la bataille, mais le bruit en est venu jusqu’à nous ; bien souvent nous avons été sur le point de nous élancer pour aller mourir avec nos pauvres pennis ; la bataille a duré longtemps ; selon leur coutume, les Aucas se faisaient bravement tuer.

— Vous pouvez en être fier à juste titre, chef, s’écria Valentin avec enthousiasme, vos frères se sont fait écharper par la mitraille avec un courage héroïque.

— Aussi les appelle-t-on Aucas, — hommes libres, — répondit Trangoil Lanec. Tout à coup un bruit semblable au roulement du tonnerre frappa nos oreilles, et vingt ou trente mosotones passèrent rapides comme le vent devant nous. Ils entraînaient deux femmes au milieu d’eux : l’une était la face de vipère, l’autre la vierge aux yeux d’azur.

— Oh ! fit le comte avec douleur.

— Quelques instants plus tard, continua Trangoil Lanec, une autre troupe beaucoup plus nombreuse arrivait avec une égale vitesse ; celle-là était guidée par Antinahuel en personne ; le toqui était pâle, couvert de sang, il paraissait blessé.

— Il l’est en effet, observa Valentin, son bras droit est brisé, je ne sais s’il a reçu d’autres blessures.

— À ses côtés galopait le Grand Aigle des blancs, tête nue et sans armes.

— Était-il blessé ? demanda vivement Louis,

— Non, il portait le front haut, son visage était pâle, mais fier.

— Oh ! puisqu’il n’est pas mort, nous le sauverons, n’est-ce pas, chef ? s’écria Valentin.

— Nous le sauverons, oui, frère.

— Quand prendrons-nous la piste ?

— À l’endit-ha, — au point du jour, — d’après la route qu’ils ont suivie, je sais où ils se rendent. Nous voulions sauver la fille, eh bien ! nous délivrerons le père en même temps, dit gravement Trangoil Lanec.

— Bien ! chef, répondit Valentin avec élan, je suis heureux de vous entendre parler ainsi ; tout n’est pas perdu encore.

— Tant s’en faut ! dit l’Ulmen.

— Maintenant, frères, que nous sommes rassurés, observa Louis, si vous