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Ils chevauchaient mornes et soucieux à côté l’un de l’autre, sans oser se communiquer les idées qui assombrissaient leur âme.

Le soleil déclinait rapidement à l’horizon ; au loin l’armée chilienne achevait de disparaître dans les méandres de la route.

Les jeunes gens avaient peu à peu obliqué sur la droite pour se rapprocher des montagnes, et suivaient un sentier étroit, tracé sur la pente assez raide d’une colline boisée.

César qui, pendant la plus grande partie de la route, avait, selon son habitude, formé l’arrière-garde, dressa tout à coup les oreilles et s’élança vivement en avant en remuant la queue.

— Nous approchons, dit Louis.

— Oui, répondit laconiquement Valentin.

Ils arrivèrent bientôt à un endroit où le sentier formait un coude derrière lequel le terre-neuvien avait disparu.

Après avoir dépassé ce coude, les Français se trouvèrent subitement en face d’un feu devant lequel rôtissait un quartier de guanacco ; deux hommes, couchés sur l’herbe à peu de distance, fumaient nonchalamment, tandis que César, gravement assis sur sa queue, suivait d’un œil jaloux les progrès de la cuisson du guanacco.

Ces deux hommes étaient Trangoil Lanec et Curumilla.

À la vue de leurs amis, les Français mirent pied à terre et s’avancèrent vivement vers eux ; ceux-ci, de leur côté, s’étaient levés pour leur souhaiter la bienvenue.

Valentin conduisit les chevaux auprès de ceux de ses compagnons, les entrava, les dessella, leur donna la provende, puis il prit place au feu.

Pas une parole n’avait été échangée entre les quatre hommes.

Au bout de quelques instants, Curumilla détacha le quartier de guanacco, le plaça sur un plat en bois au milieu du cercle, posa des tortillas de maïs à côté, ainsi qu’une outre d’eau et une autre d’aguardiente, et chacun s’armant de son couteau attaqua vigoureusement les vivres appétissants qu’il avait devant lui.

De temps en temps un os ou un morceau de viande était jeté par un des convives à César qui, placé un peu en arrière, en chien bien appris, dînait lui aussi.

Lorsque la faim fut satisfaite, les pipes et les cigares furent allumés et Curumilla mit une brassée de bois au feu pour l’entretenir.

La nuit était venue, mais une nuit étoilée de ces chaudes régions, pleine de vagues rêveries et de charmes indicibles.

Un imposant silence planait sur la nature, une brise folle agitait seule la cime houleuse des grands arbres et produisait de mystérieux frémissements.

Au loin on entendait par intervalles les rauques glapissements des loups et des chacals, et le sourd murmure d’une source invisible jetait ses notes graves dans ce concert grandiose que seul le désert chante à Dieu dans les régions tropicales.

— Eh bien ? demanda enfin Trangoil Lanec.

— La bataille a été rude, répondit Valentin.