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— Eh bien ! que fîtes-vous alors ?

— Pardieu ! je revins sur mes pas ! Don Tadeo, bien que serré de près, combattait vigoureusement ; je lui criai de tenir ferme.

— Vous entendit-il ?

— Certes, puisqu’il me répondit. Je redoublai d’efforts, bref, je fis si bien que j’arrivai presque aussitôt à l’endroit où je l’avais vu : il avait disparu sans laisser de traces.

— Et vous en avez conclu ?

— J’en ai conclu que ses ennemis fort nombreux se sont emparés de lui et l’ont emmené, puisque malgré toutes nos recherches nous n’avons pas retrouvé son cadavre.

— Qui vous dit qu’après l’avoir tué, ils n’ont pas emporté son cadavre ?

— Pourquoi faire ? Don Tadeo mort ne pouvait que les gêner, au lieu que prisonnier, ils espèrent probablement, en lui rendant la liberté, ou peut-être en le menaçant de le tuer, obtenir que leurs otages leur soient rendus, que sais-je, moi ! Vous êtes plus à même, vous qui connaissez le pays et les mœurs de ces hommes féroces, de trancher la question que moi qui suis étranger.

Don Gregorio fut frappé de la justesse de ce raisonnement.

— C’est possible, répondit-il ; il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites, peut-être ne vous trompez-vous pas ; mais vous ne m’avez pas expliqué ce que vous comptez faire.

— Une chose bien simple, mon ami : ici aux environs sont embusqués deux chefs indiens que vous connaissez.

— Oui.

— Ces hommes sont dévoués à Louis et à moi, ils me serviront de guides ; si, comme je le pense, don Tadeo est vivant, je vous jure que je le retrouverai.

Don Gregorio le regarda un instant avec émotion, deux larmes brillèrent dans ses yeux ; il prit la main du jeune homme, la serra fortement et lui dit d’une voix que l’attendrissement faisait trembler :

— Don Valentin, pardonnez-moi, je ne vous connaissais pas encore, je n’avais pas su apprécier votre cœur à sa juste valeur, je ne suis qu’un Américain à demi-sauvage, j’aime et je hais avec la même violence ; don Valentin, voulez-vous me permettre de vous embrasser ?

— De grand cœur, mon brave ami, répondit le jeune homme qui cherchait vainement à cacher son émotion sous un sourire.

— Ainsi vous partez ? reprit don Gregorio.

— De suite.

— Oh vous retrouverez don Tadeo, j’en suis sûr maintenant.

— Moi aussi.

— Adieu ! don Valentin, adieu ! don Luis.

— Adieu ! répondirent les jeunes gens.

Les trois interlocuteurs se séparèrent.

Valentin siffla César, fit sentir l’éperon à son cheval :

— Allons ! dit-il à son frère de lait.

— Allons ! répondit celui-ci.