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— Oui, répondit le comte, nous l’avons échappé belle ! Mais où donc est don Tadeo ?

— C’est vrai ! observa Valentin en jetant un regard circulaire sur ceux qui l’environnaient. Oh ! ajouta-t-il en se frappant le front avec colère, je comprends tout, maintenant ! Vite ! vite ! courons au secours de don Tadeo !

Les deux jeunes gens se mirent à la tête des cavaliers qui les accompagnaient, et se rejetèrent avec fureur dans la mêlée.

Ils aperçurent bientôt celui qu’ils cherchaient.

Don Tadeo, soutenu seulement par quatre ou cinq hommes, luttait en désespéré contre une foule d’ennemis qui l’enveloppaient.

— Tenez bon ! tenez bon ! cria Valentin.

— Nous voilà ! courage, nous voilà ! dit le comte.

Leur voix arriva jusqu’à don Tadeo ; il leur sourit.

— Merci, leur répondit-il tristement, mais tout est inutile, je suis perdu !

— Caramba ! fit Valentin en mordant sa moustache avec rage, je le sauverai ou je périrai avec lui.

Il redoubla d’efforts.

Vainement les guerriers aucas voulurent s’opposer à son passage, chaque coup de son sabre abattait un homme.

Enfin l’impétuosité des deux Français l’emporta sur le courage des Indiens, ils pénétrèrent dans le cercle.

Don Tadeo avait disparu !…

Louis et Valentin, suivis des cavaliers que leur exemple électrisait, fouillèrent les rangs des Aucas dans tous les sens, tout fut inutile.

Tout à coup l’armée indienne, reconnaissant sans doute l’impossibilité d’une plus longue lutte contre des forces supérieures qui menaçaient de l’anéantir, se dispersa.

La déroute fut complète.

La cavalerie chilienne, lancée à la poursuite des fuyards, les sabra sans miséricorde pendant plus de deux lieues.

Seulement un corps de cinq cents cavaliers au plus, qui paraissait composé de guerriers d’élite et en tête desquels on distinguait Antinahuel, fuyait en troupe serrée, se retournant parfois pour repousser les attaques de ceux qui les poursuivaient de trop près.

Ce corps qui s’éloignait rapidement et que jamais on ne put parvenir à entamer, disparut bientôt derrière les courbes des hautes collines qui terminent la plaine de Condorkanki et servent de contreforts aux Cordillères.

La victoire des Chiliens était éclatante, et de longtemps probablement la fantaisie ne reprendrait aux Araucans de recommencer la guerre contre eux ; ils avaient reçu une leçon qui devait leur profiter et laisser parmi eux un long souvenir.

De dix mille guerriers qui étaient entrés en ligne, les Indiens en avaient laissé sept mille sur le champ de bataille, une foule d’autres avaient succombé pendant la déroute.

Le général Bustamente, l’instigateur de cette guerre, avait été tué.