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César, affublé par son maître d’une espèce de cuirasse en cuir et d’un énorme collier garni de pointes de fer, inspirait aux Indiens une crainte indicible ; ils fuyaient devant lui comme frappés de vertige.

Dans leurs naïve et superstitieuse crédulité, ils se figuraient que ce redoutable animal était invulnérable, que c’était un mauvais génie attaché à leur perte, qui combattait pour leurs ennemis.

Cependant la bataille devenait de plus en plus acharnée.

Chiliens et Araucans combattaient sur un monceau de cadavres.

Les Indiens n’espéraient plus vaincre.

Ils ne cherchaient pas à fuir ; résolus à tomber tous, ils voulaient vendre leur vie le plus cher possible, ils luttaient avec ce désespoir terrible des hommes de cœur qui n’attendent et ne demandent pas quartier.

L’armée chilienne se concentrait de plus en plus autour d’eux.

Encore quelques minutes, et l’armée araucanienne aurait vécu, ce n’était plus désormais qu’une question de temps !

Jamais, depuis les jours reculés de la conquête, plus horrible carnage n’avait été fait des Indiens !

Antinahuel versait des larmes de rage ; il sentait son cœur se briser de douleur dans sa poitrine, en voyant ainsi tomber autour de lui ses plus chers compagnons.

Tous ces hommes, victimes de l’ambition de leur chef, succombaient sans pousser une plainte, sans lui adresser un reproche.

Ferme comme un roc au milieu de la mitraille qui pleuvait comme grêle autour de lui, le toqui, les sourcils froncés, les lèvres serrées, levait incessamment sa massue, rouge jusqu’à la poignée du sang qu’il avait versé.

Soudain un sourire étrange plissa la lèvre mince du chef.

D’un geste il appela les Ulmènes qui combattaient encore, et échangea avec eux quelques mots à voix basse.

Après avoir fait un signe d’acquiescement à l’ordre qu’ils venaient de recevoir, les Ulmènes regagnèrent immédiatement leurs postes respectifs, et pendant quelques instants le combat continua avec la même fureur.

Soudain une masse de plus de quinze cents Indiens se rua avec une rage inexprimable contre l’escadron au centre duquel combattait don Tadeo, et l’enveloppa de toutes parts.

Cette audacieuse attaque frappa les Chiliens de stupeur.

Les Araucans redoublaient d’acharnement et se pressaient de plus en plus contre ce faible escadron d’une cinquantaine d’hommes.

— Caramba ! hurla Valentin, nous sommes cernés ! Allons, vive Dieu ! dépêtrons-nous vivement, sinon ces démons incarnés nous hacheront jusqu’au dernier !

Alors il se précipita tête baissée au milieu des combattants.

Tous le suivirent.

Après une chaude mêlée de trois ou quatre minutes, ils étaient sains et saufs en dehors du cercle fatal dans lequel on avait prétendu les enfermer.

— Hum ! fit Valentin, l’affaire a été rude ! mais grâce à Dieu, nous voilà !