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— En avant ! en avant ! Chile ! Chile ! cria don Tadeo en poussant son cheval.

Suivi d’une cinquantaine d’hommes au nombre desquels se trouvaient les deux Français, il s’enfonça au plus épais des rangs ennemis.

Don Gregorio et le général Fuentès avaient deviné, à l’acharnement avec lequel les Araucans s’étaient rués sur le grand carré, qu’ils voulaient s’emparer du général en chef.

Tout en continuant à foudroyer l’armée indienne, par des feux d’artillerie de plein fouet, ils avaient pressé leurs mouvements, opéré leur jonction, et avaient enserré les Aucas dans un cercle de fer dont il leur était désormais presque impossible de sortir.

D’un coup d’œil Antinahuel comprit la situation critique dans laquelle il se trouvait.

Il jeta du côté du général Bustamente un cri de suprême appel.

Lui aussi avait jugé la position désespérée de l’armée indienne.

Il réunit toute la cavalerie araucanienne, la forma en une masse compacte et se mettant franchement à sa tête :

— Sauvons nos guerriers ! s’écria-t-il.

— Sauvons-les ! hurlèrent les Indiens en abaissant leurs longues lances.

Cette redoutable phalange se rua comme un tourbillon sur les rangs profonds qui lui barraient le passage.

Rien ne put arrêter son élan irrésistible.

Les guerriers firent une large trouée dans l’armée chilienne et rejoignirent leurs compagnons qui les accueillirent avec des cris de joie.

Le général Bustamente, le sabre suspendu au poignet par la dragonne, ne portait pas un coup ; l’œil étincelant, le front pâle et la lèvre dédaigneuse, il cherchait vainement la mort qui semblait s’obstiner à ne pas vouloir de lui.

Trois fois le général exécuta cette charge audacieuse.

Trois fois il traversa les lignes ennemies en semant l’épouvante et la mort sur son passage.

Mais la partie était trop inégale.

Les Indiens, incessamment écharpés par l’artillerie, voyaient, malgré des prodiges de valeur, leurs rangs s’éclaircir de plus en plus.

Tout à coup le général se trouva face à face avec l’escadron commandé par don Tadeo, son œil fauve lança un éclair.

— Oh ! cette fois je mourrai enfin ! s’écria-t-il.

Et il se précipita en avant.

Depuis le commencement de l’action, Joan combattait aux côtés de don Tadeo, qui tout à ses devoirs de chef, souvent ne songeait pas à parer les coups qu’on lui portait ; mais le brave Indien les parait pour lui ; il se multipliait pour protéger celui qu’il avait juré de défendre.

Joan devina instinctivement l’intention du général Bustamente.

Il fit bondir son cheval en avant et s’élança audacieusement à sa rencontre.

— Oh ! s’écria le général avec joie, merci, mon Dieu ! je ne mourrai donc pas de la main d’un frère !