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l’aile droite à un Apo-Ulmen, et confia celle de l’aile gauche au général don Pancho Bustamente.

Il laissa seulement dans le camp une cinquantaine de mosotones chargés de veiller sur la Linda et doña Rosario, avec ordre, au cas où la bataille serait perdue, de s’ouvrir passage et de sauver les deux femmes, coûte que coûte.

L’armée araucanienne, rangée dans le bel ordre que nous venons de décrire, avait un aspect imposant et martial qui faisait plaisir à voir.

Tous ces guerriers savaient qu’ils soutenaient une cause perdue, qu’ils marchaient à une mort presque certaine, et cependant ils attendaient impassibles, l’œil brillant d’ardeur, le signal du combat.

Antinahuel, le bras droit attaché le long du corps par une sangle de cuir, brandissant une lourde massue de la main gauche, montait un magnifique coursier noir comme du jais, qu’il gouvernait avec les genoux, et parcourait les rangs de ses guerriers qu’il interpellait la plupart par leurs noms, en leur rappelant leurs prouesses passées et les engageant à faire leur devoir.

Avant de sortir du camp pour prendre le commandement de l’aile gauche, le général Bustamente avait échangé quelques mots d’adieu avec la Linda. Leur courte conversation s’était terminée par ces paroles qui n’avaient pas laissé de produire une certaine impression sur le cœur de granit de cette femme :

— Adieu, madame, lui avait-il dit d’une voix triste ; je vais mourir, grâce à la mauvaise influence que vous avez sans cesse exercée sur moi, dans les rangs de ceux que mon devoir m’ordonnait de combattre ; je vais tomber de la mort des traîtres, haï et méprisé de tous ! Je vous pardonne le mal que vous m’avez fait ! Il est temps encore, repentez-vous ; prenez garde que Dieu, lassé de vos crimes, ne fasse bientôt retomber une à une sur votre cœur les larmes que vous faites incessamment verser à la malheureuse jeune fille que vous avez pour victime. Adieu !

Il avait froidement salué la courtisane atterrée et avait rejoint la troupe dont le toqui lui avait donné le commandement.

L’armée chilienne s’était formée en carrés par échelons.

À l’instant où don Tadeo quittait sa tente, il poussa un cri de joie à l’aspect de deux hommes dont il était loin d’espérer la présence en ce moment.

— Don Luis ! don Valentin ! s’écria-t-il en leur pressant les mains ; vous ici ? quel bonheur !

— Ma foi oui, nous voilà, répondit en riant Valentin, avec César qui, lui aussi, veut manger de l’Araucan, n’est-ce pas, vieux chien ? fit-il en caressant le Terre-Neuvien qui remuait la queue en fixant sur lui ses grands yeux intelligents.

— Nous avons pensé, dit le comte, que dans un jour comme celui-ci vous n’auriez pas trop de tous vos amis ; nous avons laissé les deux chefs embusqués à quelque distance d’ici dans les halliers, et nous sommes venus.

— Je vous remercie ; vous ne me quitterez pas, j’espère ?

— Pardieu ! c’est bien notre intention, dit Valentin.

Don Tadeo leur fit amener à chacun un superbe cheval de bataille, et tous