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XXXI

LA BATAILLE DE CONDORKANKI[1].


C’était le 10 octobre, que les Araucans nomment dans leur langue imagée Cuta-Penken, le mois des grandes pousses.

Ce jour-là, le soleil se leva radieux dans un flot de vapeurs.

À peine ses premiers rayons commençaient-ils à dorer le sommet des hautes montagnes, que le son des trompettes et des tambours alla frapper les échos des vieux mornes et faire tressaillir les bêtes fauves dans leurs antres.

À ce moment, fait étrange, mais dont nous pouvons garantir l’exactitude, en ayant été nous-même témoin en Amérique dans plusieurs circonstances semblables, d’épais nuages de vautours, de condors et d’urubus, avertis par leur instinct sanguinaire, du carnage qui allait se faire et de la chaude curée que les hommes leur préparaient, accoururent de tous les points de l’horizon, planèrent quelques minutes sur le champ de bataille désert encore, en poussant des cris aigus et discordants, puis s’enfuirent à tire-d’aile se percher sur les pointes des rocs, où ces hôtes immondes attendirent, l’œil à demi fermé, en aiguisant leur bec et leurs serres tranchantes, l’heure de ce festin de cannibales.

Les guerriers araucans sortirent fièrement de leurs retranchements et se rangèrent en bataille au bruit de leurs instruments de guerre.

Les Araucans ont un système de bataille dont ils ne s’écartent jamais.

Voilà en quoi consiste cet ordre immuable :

La cavalerie est partagée aux deux ailes, l’infanterie au centre, divisée par bataillons.

Les rangs de ces bataillons sont tour à tour composés de gens armés de piques et de gens armés de massues, de manière à ce que, entre deux piques, il y a toujours une massue.

Le vice-toqui commande l’aile droite, un Apo-Ulmen l’aile gauche.

Quant au toqui, il court de tous les côtés en exhortant les troupes à combattre courageusement pour la liberté.

Nous devons ajouter ici, pour rendre justice à ce peuple guerrier, que les officiers ont généralement plus de peine à retenir l’impétuosité des soldats qu’à l’exalter.

Tout Araucan pense que rien n’est plus honorable que de mourir en combattant.

Le Cerf Noir, le vice-toqui, était mort ; Antinahuel donna la direction de

  1. Cette plaine a été ainsi nommée des vastes propriétés qu’y possédèrent longtemps les descendants de Tupac-Amaru, le dernier des Incas du Pérou, qui à leur nom avaient ajouté celui de Condorkanki, mot qui signifie plaine des condors. Le condor était l’oiseau sacré des Incas.