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l’ordre à leurs officiers de les attendre et se joignirent dans l’intervalle laissé libre pour eux.

Lorsqu’ils se trouvèrent en présence, les deux hommes s’examinèrent réciproquement un instant sans parler.

Antinahuel fut le premier qui rompit le silence.

— Les Aucas connaissent et vénèrent mon père, dit-il en s’inclinant avec courtoisie, ils savent qu’il est bon et qu’il aime ses enfants indiens ; un nuage s’est élevé entre lui et ses fils, est-il donc impossible qu’il se dissipe, faut-il absolument que le sang de deux grands peuples coule comme de l’eau pour un malentendu ? Que mon père réponde.

— Chef, dit alors don Tadeo, les blancs ont toujours protégé les Indiens, souvent ils leur ont donné des armes pour se défendre, des grains pour se nourrir et des étoffes chaudes pour se couvrir l’hiver, lorsque la neige tombant du ciel à flocons pressés empêche le soleil de réchauffer la terre ; mais les Araucans sont ingrats, le malheur passé, ils oublient le service rendu : pourquoi aujourd’hui ont-ils pris les armes contre les blancs ? Les blancs les ont-ils insultés, ont-ils dérobé leurs bestiaux ou endommagé leurs moissons ? Non ! les Araucans ne pourraient soutenir une pareille imposture. Il y a un mois à peine, aux environs de Valdivia, le toqui auquel je parle en ce moment, renouvelait solennellement les traités de paix, qu’il rompait le jour même par une trahison. Que le chef réponde à son tour, je suis prêt à entendre ce qu’il pourra me dire pour sa défense.

— Le chef ne se défendra pas, dit Antinahuel avec déférence, il reconnaît tous ses torts, il en convient, il est prêt à accepter les conditions qu’il plaira à son père blanc de lui imposer, si ces conditions ne sont pas susceptibles de ternir son honneur.

— Dites-moi d’abord quelles conditions vous m’offrez, chef, je verrai si elles sont justes, si je dois les accepter, ou si mon devoir m’oblige à vous en imposer d’autres.

Antinahuel hésita.

— Mon père, dit-il d’une voix insinuante, sait que ses fils indiens sont ignorants, ils sont crédules. Un grand chef des blancs s’est présenté à eux, il leur a offert d’immenses territoires, beaucoup de pillage et des femmes blanches pour épouses, si les Araucans consentaient à défendre ses intérêts et à reconquérir le pouvoir qu’il a perdu. Les Indiens sont des enfants, ils se sont laissé séduire par cet homme qui les trompait, ils se sont levés pour soutenir une mauvaise cause.

— Eh bien ? fit don Tadeo.

— Les Indiens, reprit Antinahuel, sont prêts, si mon père le désire, à lui livrer cet homme, qui a abusé de leur crédulité et les a entraînés sur le bord de l’abîme ; que mon père parle.

Don Tadeo réprima avec peine un geste de dégoût à cette proposition révoltante.

— Chef, répondit-il avec une indignation mal contenue, sont-ce donc là les propositions que vous avez à me faire ? Quoi, vous prétendez expier une trahison en en commettant une plus grande et plus affreuse encore ? Cet