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XXX

LE ROI DES TÉNÈBRES


Don Tadeo de Leon avait manœuvré habilement et avec la plus grande célérité.

Appuyant sa gauche sur la mer, et pivotant sur Arauco, la capitale de la Confédération, il avait étendu sa droite le long des montagnes, de façon à couper les communications de l’ennemi qui, par sa jonction avec le général Fuentès, se trouvait placé entre deux feux.

Il n’entrait d’abord dans son plan que de tenter une attaque simulée contre Arauco, qu’il supposait garni de guerriers et à l’abri d’un coup de main. Mais les troupes détachées pour investir la place l’avaient trouvée ouverte, presque abandonnée par ses habitants, et s’en étaient emparées sans coup férir.

Don Tadeo avait alors fait remuer un peu de terre, élever quelques retranchements, et laissant dans cette place une garnison de trois cents hommes sous les ordres d’un major, il avait continué sa marche en avant, étendant sa ligne de la mer aux montagnes, détruisant et brûlant les tolderias qu’il rencontrait sur sa route, et refoulant devant lui les populations effrayées.

Le bruit de cette marche rapide avait répandu l’épouvante dans le pays ; Antinahuel, trompé par le faux message saisi sur don Ramon, avait commis l’impardonnable faute de lever son camp du Biobio et de laisser ainsi le passage libre au général Fuentès pour envahir l’Araucanie.

Le général Bustamente avait vu avec désespoir les fautes commises par le toqui, fautes que celui-ci n’avait reconnues que lorsqu’il était trop tard pour y porter remède.

Le général ne se faisait pas illusion sur ce que sa position avait de précaire.

Il comprenait qu’il ne lui restait plus désormais qu’à mourir bravement les armes à la main, et que tout espoir de ressaisir un jour le pouvoir était évanoui à jamais.

Doña Maria, cette femme qui avait été son mauvais génie, qui l’avait précipité dans l’abîme en lui suggérant la première et lui soufflant une ambition qu’il ignorait, l’abandonnait maintenant et ne songeait même pas à lui adresser ces banales consolations qui, si elles n’atteignent pas le but qu’on se propose, prouvent au moins à ceux qui en sont l’objet que l’on s’occupe d’eux et que l’on prend sa part de leurs douleurs.

La Linda, toute à sa haine, ne pensait qu’à une seule chose, faire souffrir doña Rosario dont Antinahuel, absorbé par les soins incessants de la guerre, lui avait confié la garde.

La malheureuse jeune fille, livrée au pouvoir sans contrôle de cette mégère, endurait un horrible martyre de toutes les minutes, de toutes les