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Mais il était trop tard. Le cri d’alarme du chef avait été entendu, une foule de guerriers accouraient à son secours.

— Chien poltron ! fit Joan qui se vit perdu mais ne désespéra pas encore, meurs donc !

Il lui planta son poignard empoisonné entre les deux épaules, et le jeta sur le sol, où le chef se tordit dans les convulsions de l’agonie et expira comme frappé par la foudre.

Joan enleva son cheval avec les genoux et le lança à toute bride contre ceux qui lui barraient le passage.

Cette tentative était insensée.

Un guerrier armé d’un fusil le coucha en joue, le cheval roula sur le sol le crâne brisé, en entraînant son cavalier dans sa chute.

Vingt guerriers se ruèrent sur Joan et le garrottèrent avant qu’il pût faire un mouvement pour se défendre.

Seulement il avait caché le poignard que les Indiens ne cherchèrent même pas, convaincus qu’il avait jeté ses armes.

La mort du Cerf Noir, un des guerriers les plus respectés de la nation, jeta la consternation parmi les Araucans.

Un Ulmen avait immédiatement pris le commandement à sa place.

Joan et un soldat chilien, fait prisonnier dans un précédent combat, furent expédiés de compagnie au camp de Antinahuel.

Celui-ci éprouva une grande douleur en recevant la nouvelle de la mort du Cerf Noir : c’était plus qu’un ami qu’il perdait, c’était un séide.

Les événements de la nuit avaient semé l’épouvante dans les rangs des Indiens.

Antinahuel, afin de raffermir le courage des siens, résolut de faire un exemple et de sacrifier les prisonniers à Guecubu, le génie du mal.

Sacrifice qui, nous devons l’avouer, devient de plus en plus rare parmi les Aucas, mais auquel ils ont encore parfois recours lorsqu’ils veulent frapper leurs ennemis de terreur et leur prouver qu’ils sont déterminés à leur faire une guerre sans merci.

Le temps pressait, l’armée devait marcher en avant.

Antinahuel décida que le sacrifice aurait lieu de suite.

À quelque distance en dehors du camp, les principaux Ulmènes et les guerriers formèrent un cercle au centre duquel fut plantée la hache de commandement du toqui.

Les prisonniers furent amenés.

Ils étaient libres, mais par mépris montés chacun sur un cheval sans queue et sans oreilles.

Joan, comme le plus coupable, ne devait être sacrifié que le dernier et il lui fallait assister à la mort de son compagnon, afin de prendre un avant-goût du sort qui l’attendait.

Mais si en ce moment fatal tout semblait abandonner le valeureux Indien, lui ne s’abandonnait pas et était loin d’avoir perdu tout espoir de salut.

Le prisonnier chilien était un rude soldat, fort au courant des mœurs arau-