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aucun rayon de lumière ; nul bruit ne se faisait entendre, la maison semblait complètement déserte.

Les inconnus longèrent silencieusement les murailles.

Arrivés derrière la maison, ils plantèrent leurs poignards dans les fentes du mur, et d’un bond s’élancèrent dans le jardin.

Alors, ils s'orientèrent un instant, puis ils se dirigèrent à pas de loups vers une lumière pâle et tremblotante qui brillait faiblement à une fenêtre basse.

Ils n’étaient plus qu’à quelques pas de cette fenêtre, lorsque le bruit d’une lutte arriva jusqu’à eux ; un cri terrible retentit, mêlé à un bris de meubles et à des imprécations de colère et de douleur.

Bondissant comme des chacals, les inconnus qui s’étaient couvert le visage de masques de velours noir, brisèrent la fenêtre qui vola en éclats et se trouvèrent dans le salon.

Il était temps qu’ils arrivassent.

Don Tadeo avait, d’un coup de tabouret, fendu le crâne d’un des bandits qui, étendu, râlait sur le sol ; mais le second bandit tenait renversé le genou sur la poitrine, et levait son poignard pour l’achever.

D’un coup de pistolet, l’un des inconnus lui brûla la cervelle, et le misérable roula expirant près de son complice qui rendait le dernier soupir.

Don Tadeo se releva prestement.

— Oh ! dit-il, je croyais mourir.

Et se tournant, vers les hommes masqués :

— Merci, caballeros ! continua-t-il, merci de votre secours ! une minute de plus, c’en était fait de moi ! oh ! la Linda est expéditive, allez !

La courtisane, les traits contractés par la rage, les dents serrées, regardait sans voir, atterrée, confondue par la scène rapide qui venait d’avoir lieu, et lui avait en quelques secondes ravi sa vengeance, qu’elle croyait si bien assurée cette fois.

— Sans rancune, madame ! lui dit don Tadeo d’un ton railleur ; c’est partie remise. Votre imagination féconde vous fournira sans doute bientôt les moyens de prendre votre revanche !

— Je l’espère ! dit-elle avec un sourire sardonique.

— Emparez-vous de cette femme, commanda le chef des inconnus, bâillonnez-la et attachez-la solidement à ce lit de repos.

— Moi ! moi ! s’écria-t-elle dans un paroxysme insensé de colère, savez-vous bien qui je suis ?

— Parfaitement ! madame, répondit sèchement l’inconnu. Vous êtes une femme sans nom pour les honnêtes gens. Les libertins vous ont nommée la Linda, et vous avez pour amant le général Bustamente. Vous voyez que nous vous connaissons bien !

— Prenez garde, messieurs ! on ne m’insulte pas impunément.

— Nous ne vous insultons pas, madame ; mais nous voulons provisoirement vous mettre dans l’impossibilité de nuire. Dans quelques jours, continua impassiblement l’inconnu, nous vous jugerons.