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vous fuyez ! vous vous avouez vaincu ! Don Tadeo de Leon, le bourreau de votre famille, marche contre vous et vous avez peur ! Lâche ! lâche ! prenez des jupons ! vous n’êtes pas un guerrier ! vous n’êtes pas un homme ! vous êtes une vieille femme !

Le toqui la repoussa d’un geste de suprême dédain.

— Femme, vous êtes folle ! lui dit-il ; que peut un homme contre la fatalité ? je ne fuis pas mon ennemi, je vais au-devant de lui ; cette fois, dussé-je l’attaquer seul, nous nous verrons face à face !

Se tournant alors vers doña Rosario :

— Ma sœur ne peut rester ici, lui dit-il d’une voix douce ; le camp va être levé, elle et doña Maria suivront les mosotones chargés de les défendre toutes deux.

La jeune fille le suivit sans répondre.

Quelques minutes plus tard le camp était levé, et les Aucas abandonnaient cette imprenable position si bien choisie par leur chef. Sur les prières réitérées du général Bustamente, Antinahuel consentit à laisser le Cerf Noir à la tête de huit cents guerriers d’élite, afin de défendre le passage dans le cas où les Chiliens tenteraient de traverser le fleuve.

Aux dernières lueurs du soleil couchant, l’armée araucanienne disparut au loin dans la plaine, soulevant sur son passage des flots de poussière qui montaient jusqu’aux cieux.

Antinahuel se dirigeait à marches forcées vers la vallée de Condorkanki, où il espérait arriver avant les Chiliens, et les tailler en pièces sans leur donner le temps d’entrer en ligne.

Le Cerf Noir était un chef sage, il comprenait toute l’importance du poste qui lui était confié.

Dès que la nuit fut venue, il dispersa dans toutes les directions des éclaireurs sur les rives du fleuve, afin de surveiller les mouvements de l’ennemi.

Subissant, malgré lui, l’influence produite par le rapport des espions, il avait dans le premier moment conseillé la retraite ; mais, en y réfléchissant, il n’avait pas tardé à soupçonner une ruse de guerre.

Aussi redoublait-il de vigilance pour éviter une surprise.

Ses soupçons ne l’avaient pas trompé : entre onze heures et minuit les éclaireurs se replièrent en toute hâte et vinrent l’avertir qu’une longue file de cavaliers avait quitté la rive chilienne et s’allongeait sur le gué comme un immense serpent.

La lune qui se levait en ce moment dissipa tous les doutes en faisant étinceler à ses rayons argentés les pointes des longues lances chiliennes.

Le Cerf Noir n’avait que deux cent cinquante guerriers armés de fusils, il les plaça en première ligne sur la rive et les fit soutenir par ses lanciers.

Mais si la clarté éblouissante de la lune lui permettait de distinguer facilement les mouvements de l’ennemi, elle facilitait de même à celui-ci les moyens de voir les siens.

Lorsqu’ils les crurent arrivés à portée, les guerriers aucas firent une décharge sur les cavaliers qui traversaient la rivière.

Plusieurs tombèrent.