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trop faible pour nous nuire, nous devons cette nuit même envahir le territoire des blancs.

Le général respira, sa cause était gagnée.

Tous les chefs semblaient prêts à se ranger à l’avis de Antinahuel.

Tout à coup le Cerf Noir, le vice-toqui, vint prendre place dans l’assemblée ; il paraissait réprimer avec peine une forte émotion.

— Que se passe-t-il ? lui demanda le toqui.

— Plusieurs espions sont de retour, répondit le Cerf Noir.

— Eh bien ! reprit le toqui d’une voix brève, quelles nouvelles apportent-ils ?

— Tous s’accordent à dire que des forces considérables, traînant avec elles des canons, ont investi Arauco.

À ces paroles, il y eut un mouvement de stupeur indicible dans l’assemblée.

— Ce n’est pas tout, reprit le Cerf Noir.

— Que mon frère parle, dit Antinahuel en imposant d’un geste le silence aux chefs.

— Écoutez, reprit le Cerf Noir d’une voix sombre, Illicura, Boroa, Nagtolten ont été livrés aux flammes et leurs habitants passés au fil de l’épée ; un autre corps de troupes, plus considérable encore que le premier et coordonnant ses opérations avec les siennes, agit dans le pays plat de la même façon que l’autre dans la contrée maritime ; voici le résumé des nouvelles apportées par les espions. J’ai dit.

Une agitation extrême s’empara des Ulmènes, ce n’étaient que cris de rage et de désespoir.

Antinahuel cherchait en vain à rétablir un peu d’ordre dans le conseil, enfin le calme se fit et le silence régna.

Alors le chef qui une fois déjà avait conseillé la retraite, reprit la parole :

— Qu’attendez-vous, chefs des Aucas ? s’écria-t-il avec violence ; n’entendez-vous pas les cris de vos femmes et de vos enfants qui implorent votre secours ? ne voyez-vous pas les flammes qui dévorent vos demeures et détruisent vos moissons ? Aux armes ! guerriers, aux armes ! Ce n’est plus le territoire ennemi qu’il faut envahir, c’est le vôtre qu’il s’agit de défendre ! toute hésitation est un crime, le sang araucan, versé à flots, crie vengeance ! Aux armes ! aux armes !

— Aux armes ! rugirent les guerriers en se levant avec élan.

Il y eut un moment de confusion impossible à décrire : c’était un chaos, un tohu-bohu inexprimable.

Le général Bustamente se retira dans le toldo, la mort dans le cœur.

— Eh bien ! lui demanda la Linda en le voyant entrer, que se passe-t-il ? que signifient ces cris et ce tumulte effroyables ? Les Indiens se révoltent-ils contre leurs chefs ?

— Non, répondit le général avec désespoir. Don Tadeo, ce démon acharné à ma perte, a déjoué tous mes plans ; je suis perdu, l’armée indienne se met en retraite.

— En retraite ! s’écria la Linda avec fureur ; et s’élançant vers Antinahuel qui arrivait en ce moment : Comment ! lui dit-elle avec violence, vous ! vous !