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des blancs va vous l’expliquer. Que mon frère lise, ajouta-t-il en se tournant vers le général et en lui remettant le papier.

Celui-ci, qui se tenait immobile auprès du chef, prit la lettre, l’ouvrit et la lut à haute voix.

Voici ce qu’elle contenait :


« Mon cher général,

« J’ai soumis au conseil réuni à Valdivia les objections que vous avez cru devoir me faire au sujet du plan de campagne que j’avais d’abord adopté ; ces objections ont été trouvées justes : en conséquence, le plan susdit a été modifié d’après vos observations, c’est-à-dire que la jonction de nos deux corps d’armée a été jugée inutile ; vous continuerez donc à couvrir la province de Concepcion, en conservant la ligne du Biobio, que vous ne traverserez pas jusqu’à nouvel ordre ; de mon côté, avec les sept mille hommes que j’ai réunis, je marcherai sur Arauco, dont je m’emparerai et que je détruirai, ainsi que toutes les villes araucaniennes qui se trouveront sur mon passage. Ce plan nous offre d’autant plus de chance de réussite que, d’après le rapport d’espions fidèles, les ennemis sont dans une trompeuse sécurité au sujet de nos mouvements ; et loin d’avoir à se défendre, ils sont persuadés qu’ils peuvent en toute sécurité nous attaquer. Le porteur de cet ordre est un personnage que vous connaissez et auquel sa nullité même facilitera les moyens de traverser les lignes ennemies. Il est impossible que les Araucans soupçonnent qu’un homme aussi notoirement incapable soit porteur d’un ordre de cette importance Vous vous débarrasserez de cet individu en l’internant et le renvoyant chez lui, avec injonction de ne pas en sortir sans une permission signée de moi.

« Cette lettre n’étant à autre fin, je prie Dieu, Général, qu’il vous conserve pour le salut de la patrie.

« Signé : Don Tadeo de Léon,
« Dictateur, général en chef de l’armée libératrice. »


La lecture de ce document fut écoutée par les chefs avec une profonde attention.

Lorsque le général eut terminé, Antinahuel reprit la parole.

— Ce collier, dit-il, était tracé en signes particuliers que notre frère le visage pâle est parvenu à déchiffrer. Que pensent les Ulmènes de cet ordre ? Je suis prêt à écouter leurs observations.

Un des anciens toquis, vieillard respectable, doué d’une grande finesse et qui avait une réputation de sagesse et d’expérience bien établie, se leva au milieu du silence général.

— Les visages pâles sont très rusés, dit-il, ce sont des renards pour la malice et des jaguars pour la férocité ; cet ordre est un piège tendu à la bonne foi des Aucas, pour leur faire abandonner la ligne formidable qu’ils occupent ; mais les guerriers aucas sont sages, ils riront des fourberies des Huincas et