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— Vous voyez bien !

— Mais si je vous remets ce papier, je serai libre ? fit-il en hésitant.

— Ah ! dame ! la position est changée maintenant. Si vous vous étiez exécuté de bonne grâce, j’aurais presque pu vous le garantir, mais à présent, vous comprenez…

— Cependant…

— Donnez toujours.

— Le voilà, fit le sénateur en le tirant de sa poitrine.

Le général prit le papier, le lut rapidement, puis entraînant Antinahuél à l’autre extrémité du toldo, tous deux causèrent pendant quelques minutes à voix basse.

Enfin le général revint auprès du sénateur ; ses sourcils étaient froncés, sa physionomie sévère.

Don Ramon eut peur, sans savoir pourquoi.

— Malheureux, lui dit durement le général, est-ce donc ainsi que vous me trahissez, après les preuves d’amitié que je vous ai données et la confiance que j’avais en vous !

— Je vous assure, général, balbutia le malheureux sénateur qui se sentait blêmir.

— Taisez-vous, misérable espion ! reprit le général d’une voix tonnante, vous m’avez voulu vendre à mes ennemis, mais Dieu n’a pas permis qu’un projet aussi noir fût exécuté ! l’heure du châtiment a sonné pour vous ! recommandez votre âme à Dieu !

Le sénateur fut atterré ; il était si loin de s’attendre à un tel dénoûment, qu’il n’eut même pas la force de répondre.

— Emmenez cet homme, dit Antinatiuel.

Le pauvre diable se débattit vainement aux mains des guerriers indiens qui s’étaient brutalement emparés de lui et l’entraînèrent hors du toldo malgré ses cris et ses prières.

Le Cerf-Noir le conduisit au pied d’un énorme espino, dont les branches touffues ombrageaient au loin la colline.

Arrivé là, don Ramon fit un effort suprême, s’échappa des mains de ses gardiens stupéfaits, et s’élança comme un fou sur la pente rapide de la montagne.

Où allait-il ? il ne le savait pas.

Il fuyait sans s’en rendre compte, dominé par la crainte de mourir.

Mais cette course insensée ne dura que quelques minutes à peine et finit d’épuiser ses forces.

Lorsque les guerriers indiens eurent réussi à s’emparer de lui, ce qui leur fut facile, l’épouvante l’avait déjà presque tué.

Les yeux démesurément ouverts, il regardait sans voir, il n’avait plus conscience de ce qui se passait autour de lui, des tressaillements nerveux indiquaient seuls qu’il vivait encore.

Les guerriers lui jetèrent le nœud coulant d’un lasso autour du cou, et le hissèrent il la maîtresse branche de l’espino.

Il se laissa faire sans opposer la moindre résistance.