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Nul, si haut placé qu’il soit, n’essaie de lutter contre ; il sait d’avance qu’il serait brisé.

Le général fronça les sourcils, il se frappa le front avec violence, mais il fut contraint de s’avouer vaincu.

— Monseigneur, dit-il en s’inclinant, pardonnez-moi. Dans ces temps de troubles et de discordes civiles, on confond souvent malgré soi ses amis avec ses ennemis ; j’ignorais que Votre Grandeur eût donné l’ordre de prier pour les suppliciés, et que vous daigniez en personne vous acquitter de cette tâche. Je me retire.

Pendant la scène qui précède, les patriotes s’étaient effacés derrière les piliers de la place. Grâce à l’obscurité ils n’avaient pas été aperçus par le général.

Dès que les soldats eurent disparu, sur un geste de l’archevêque les cadavres furent portés dans la cathédrale.

— Prenez garde à cet homme, monseigneur, murmura l’un des inconnus à l’oreille de l’archevêque, il vous a lancé un regard de tigre en se retirant.

— Frère, répondit simplement le prêtre, je suis préparé à recevoir le martyre.

Le service commença.

Lorsqu’il fut terminé, les patriotes se retirèrent après avoir chaleureusement remercié l’archevêque pour sa généreuse conduite envers leurs frères morts.

À peine avaient-il fait quelques pas dans une rue étroite, bordée de masures sordides, que deux hommes se levèrent de derrière une charrette renversée qui les cachait et se présentèrent à eux en disant à voix basse :

— La Patrie !

— La Vengeance ! répondit un des inconnus, avancez !

Les deux hommes s’approchèrent.

— Eh bien ! demanda celui qui paraissait être le chef, que savez-vous ?

— Tout ce qu’il est possible de savoir, répondit un des nouveaux venus.

— Dans quel endroit a-t-on transporté don Tadeo ?

— Chez la Linda.

— Chez sa femme ! celle qui est aujourd’hui la maîtresse du général Bustamente ! reprit vivement le chef : vive Dieu, compagnons, il est perdu, car elle le hait mortellement. Le laisserons-nous assassiner sans chercher à le sauver ?

— Ce serait une lâcheté ! s’écrièrent les assistants avec énergie.

— Mais comment nous introduire dans la maison ?

— Rien de plus facile les murs du jardin sont très bas.

— Allons donc alors ! il n’y a pas une minute à perdre !…

Sans plus de paroles, les inconnus se mirent à courir dans la direction de la maison de dona Maria.

Ainsi que nous l’avons dit, cette maison s’élevait dans le faubourg de la Canadilla, le plus beau de Santiago.

Les fenêtres, hermétiquement fermées sur le devant, ne laissaient filtrer